L’espérance de vie stagne ou diminue partout en Amérique du Nord. Sauf au Québec.

Après avoir été plombée par la pandémie, l’espérance de vie a recommencé à augmenter au Québec, pour maintenant dépasser le niveau de 2020.

Pour les Québécoises, cette moyenne de durée de vie atteint maintenant 85 ans. C’est un an de plus que la moyenne canadienne. Chez les hommes, elle atteint 81,3 ans, contre 79,3 ans dans le « reste du Canada » en général.

Comment expliquer cette performance somme toute exceptionnelle ?

Si vous demandez à Pierre Lavoie, grand promoteur des « saines habitudes de vie » et de la prévention, il vous dira que le « modèle québécois » a mieux réussi à véhiculer ces valeurs qui influent sur la longévité.

Le Québec, par exemple, a vu la baisse la plus spectaculaire d’usage du tabac au Canada depuis une génération. Mais ce n’est pas parce qu’on fume moins que partout ailleurs : c’est parce que nous étions les champions de la nicotine inhalée avant de nous rapprocher de la moyenne.

Ce n’est pas la richesse collective qui explique cette première place canadienne – le PIB par habitant au Québec est sous la moyenne.

Il est difficile de mettre le doigt sur un seul élément, mais on doit faire quelque chose de bien ! Quelques choses au pluriel, en fait…

Si vous demandez à la démographe Nadine Ouellette, de l’Université de Montréal, elle vous dira que c’est surtout parce qu’on meurt moins de surdose au Québec que partout ailleurs en Amérique du Nord.

Ce qui est aussi, indirectement, l’indice d’une forme de bonne pratique médicale, sociale ou pharmaceutique…

Mais le Québec est loin d’être épargné, comme l’a illustré de manière magistrale le collègue Philippe Mercure l’an dernier.

Lisez le reportage « Surdoses : l’épidémie invisible »

Les 541 personnes mortes par surdose au Québec en 2022 sont plus nombreuses que toutes les victimes d’accident de la route cette année-là. N’empêche : il y en a eu 2501 en Ontario, 2342 en Colombie-Britannique (par habitant, c’est huit fois plus), 1499 en Alberta (six fois plus par habitant).

Va-t-on résister à cette vague continentale ou déferlera-t-elle seulement plus tard ?

Les neuf surdoses signalées dimanche dans le centre-ville de Montréal ont fait du bruit parce qu’elles ont mobilisé en peu de temps les services d’urgence.

Mais pour reprendre le titre du dossier de Philippe Mercure, pour l’essentiel, cette épidémie est « silencieuse », frappe partout au Québec, et dans tous les milieux.

La série Painkiller sur Netflix raconte l’origine américaine de cette épidémie partie dans les labos de Purdue, auteure de l’OxyContin. Résultat : pour la première fois de l’histoire contemporaine, l’espérance de vie recule nettement dans le pays le plus riche du monde.

PHOTO TOBY TALBOT, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Flacon d’OxyContin, du fabricant Purdue

Selon les plus récentes données de la Santé publique aux États-Unis, 107 000 personnes sont mortes d’une surdose – essentiellement des opioïdes – en 2022 dans ce pays. C’est plus de deux fois le nombre de suicides (près de 50 000, en hausse de 30 % depuis 20 ans) ; plus de deux fois le nombre de décès par accident de la route (45 000). Et plus de quatre fois le nombre de morts par homicide (26 000), pourtant le plus élevé des pays industrialisés.

Après un bond gigantesque de presque 10 ans depuis les années 1970, l’espérance de vie américaine a chuté de plus de deux ans ces dernières années, pour atteindre 76,3 ans.

Le recul est dramatique et il est attribuable à un facteur, explique la prof Nadine Ouellette : les morts par « intoxication accidentelle ». Soit par excès de consommation, soit par consommation involontaire de substance létale – il ne faut que quelques grains de fentanyl pour atteindre la dose mortelle.

La situation est plus compliquée aux États-Unis, du fait de l’accumulation de tout ce que les sociologues appellent « deaths by despair » – morts de désespoir, ce qui inclut tout ce que je viens d’énumérer (suicides, homicides, intoxications, accidents…) et témoigne de l’égrainement du « rêve américain ». Mais pour ce qui est des surdoses, les provinces canadiennes ont suivi « le même calendrier » que les États-Unis, simplement un peu décalé dans le temps.

La démographe Nadine Ouellette vient de démarrer un projet de recherche qui se penche précisément sur les gains et les reculs de l’espérance de vie au Canada depuis 2010.

Les deux principales causes de mortalité demeurent de loin le cancer et les maladies cardiovasculaires. Mais les avancées de la médecine et les changements d’habitudes de vie ont fait progresser l’espérance de vie… jusqu’au tournant des années 2010. « Depuis, dans différentes provinces, soit elle n’augmente plus au même rythme, soit elle stagne, soit elle recule carrément.

« Le Québec est resté en marge de ces tendances, et c’est pourquoi, pour la première fois, les hommes québécois ont la meilleure espérance de vie au pays.

« Le Québec a toujours tendance à se démarquer pour des raisons culturelles. Il y a beaucoup de dessous à l’espérance de vie, qui n’est qu’une moyenne. »

Les données sous-estiment probablement l’ampleur des surdoses au Québec. Et même à ce niveau officiel relativement « bas », le phénomène est dramatique.

« Ce sont autant de morts évitables », dit Nadine Ouellette.

Comment les prévenir ? En rendant ces drogues identifiables, en les sortant de la clandestinité, en les « déstigmatisant ».

En attendant, malgré le nombre effarant de cercueils qui s’accumulent, l’épidémie est largement invisible.