La Santé publique de Montréal a déclenché lundi une enquête sur les nombreuses surdoses potentiellement liées au fentanyl survenues la veille au centre-ville. Québec, de son côté, estime que la situation illustre la nécessité de continuer d’investir en réduction des méfaits, pendant que Montréal appelle à investir dans le communautaire.

Dans un courriel à La Presse, la Direction régionale de santé publique de Montréal (DRSP) a confirmé qu’elle « enquête actuellement » sur ce dossier « afin de cerner les circonstances de ces surdoses et déterminer avec la communauté les interventions de sensibilisation à rehausser ». L’enquête sera menée « avec plusieurs partenaires afin de bien caractériser la situation et le risque pour la population », a précisé un porte-parole de la Santé publique, Luc Fortin.

« Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’une situation du genre se produit, en raison de l’instabilité et de la contamination des drogues de rue à Montréal, notamment par le fentanyl, la xylazine ou les nitazènes. Nous invitons les consommateurs de drogues de rue, quel que soit le mode de consommation, à être prudents », a insisté M. Fortin.

En outre, la DRSP recommande aux consommateurs de fréquenter les services de consommation supervisée, d’éviter de consommer seul ou « tous en même temps » dans un groupe. Il est aussi fortement suggéré d’avoir de la naloxone disponible en quantité suffisante et de diminuer la dose de drogue pour tester ses effets, surtout si la drogue provient d’une nouvelle source.

Dimanche, neuf personnes, dont sept sans-abri autochtones, ont été transportées à l’hôpital pour des surdoses potentiellement liées au fentanyl. « La communauté est dévastée », a indiqué la directrice générale de Projets Autochtones du Québec (PAQ), Heather Johnston, dimanche soir. « On a des intervenants qui ont dû retourner à la maison, tout le monde est traumatisé. »

En tout, sept résidants de l’Hôtel des Arts, un refuge d’urgence pour sans-abri autochtones situé sur la rue Saint-Dominique, dans l’arrondissement de Ville-Marie, ont dû être hospitalisés au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) pendant la journée. Trois se trouvaient dans le refuge au moment où les intervenants ont dû faire appel aux ambulanciers pour leur venir en aide.

En fin d’après-midi, lundi, cinq d’entre eux avaient reçu leur congé de l’hôpital tandis que deux autres s’y trouvaient toujours.

« Ça démontre l’ampleur des dégâts »

Au cabinet du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, on parle d’une « journée bien triste » pour Montréal. « Neuf vies humaines frappées en une seule journée, c’est terrible. Ça démontre l’ampleur des dégâts que peuvent avoir des opioïdes comme le fentanyl dans nos rues. La lutte aux surdoses est une problématique que l’on prend très au sérieux », a martelé lundi M. Carmant par la voix de son attaché de presse, Lambert Drainville.

Le ministre soutient que l’enjeu des opioïdes est « sur notre radar depuis longtemps » avec le ministère de la Sécurité publique. « Nous en sommes à la deuxième Stratégie nationale de prévention des surdoses depuis 2018. […] Elle est rattachée à un budget de 15 millions par année », précise l’entourage de M. Carmant.

Québec rappelle aussi avoir investi cet été 36,9 millions sur cinq ans pour financer les organismes communautaires en première ligne de la crise des surdoses. « On souhaite continuer d’investir en réduction des méfaits et en prévention », insiste encore le cabinet du ministre à ce sujet.

« C’est extrêmement préoccupant. Humainement, c’est difficile », a de son côté réagi lundi la mairesse de Montréal, Valérie Plante. L’enjeu, soutient toutefois la mairesse, en est un de santé publique et non de politique. « On espère que M. Carmant puisse nous rassurer en nous disant ce qui va être fait, ce qui va être mis à niveau », a-t-elle fait valoir, en rappelant que le ministre doit être justement présent vendredi au Sommet des villes sur l’itinérance.

« Je dois ramener ça à la nécessité de s’occuper des gens vulnérables en mettant un toit au-dessus de leur tête ainsi qu’un soutien communautaire et clinique approprié. Ça existe au Québec, on le fait, mais malheureusement depuis quelques années, il n’y a pas vraiment de financement particulier pour de l’itinérance avec un parcours communautaire », a détaillé Mme Plante.

Zoom sur le phénomène au pays

Partout au Canada, la crise des opioïdes prend des proportions de plus en plus importantes depuis quelques années. En juillet, la DRSP montréalaise disait d’ailleurs avoir reçu « un nombre record de signalements de surdoses » depuis le début du mois.

Selon les données de la Santé publique fédérale, l’Ontario est la province où le nombre de décès liés à une intoxication aux opioïdes est le plus élevé au Canada, avec environ 2500 en 2022. Cela donne un taux d’environ 16,6 décès par 100 000 habitants, au quatrième rang derrière la Colombie-Britannique (44), l’Alberta (33) et la Saskatchewan (19,7).

Environ 87 % des décès et 90 % des hospitalisations liés à une intoxication ont eu lieu en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario. On a recensé l’an dernier 7238 décès au total, une moyenne de 20 par jour approximativement.

Avec 541 décès liés à ce phénomène l’an dernier, le Québec est encore néanmoins loin derrière ce classement, avec un taux de 6,2 décès pour 100 000 habitants.

Avec Vincent Larin et Alice Girard-Bossé, La Presse