On se souviendra de l’été 2023 comme celui qui nous a braqué au visage l’horreur de la crise des opioïdes à Montréal. La métropole serait-elle devenue le nouveau Downtown Eastside de Vancouver ? entend-on depuis quelques semaines.

Dans plusieurs hôpitaux de Montréal, on observe une explosion du nombre de cas de psychose et de surdose reliés à la consommation de substances toxiques. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg par rapport à ce qui se passe dans les rues, rapporte ma collègue Lila Dussault dans la série de reportages que nous publions depuis lundi.

Autrefois concentrée dans le parc Émilie-Gamelin et le Village, la présence des personnes accros au fentanyl et à des substances stimulantes (speed, crystal meth, crack) est maintenant visible dans Hochelaga, aux abords du Palais des congrès et dans certaines rues du Quartier des spectacles (Charlotte et Berger). L’une d’elles a même été rebaptisée « allée du crack ».

Ce qui me sidère dans l’horreur qui s’offre à nous, c’est de voir que cette crise nous a donné un million d’indices de l’ampleur qu’elle allait prendre. On ne pourra pas reprocher aux médias d’avoir gardé la chose secrète.

Lisez la chronique « La dure réalité du Village gai »

Combien de chroniques ai-je écrites dans lesquelles je décrivais la situation qui frappe ce secteur ? Chaque fois, on me disait que je faisais du tort au Village et à ses commerçants. Le temps a passé, les revendeurs ont fait leur infecte besogne, les surdoses se sont multipliées, les victimes aussi.

Bien sûr que la crise de la COVID-19 n’a pas aidé. Pendant trois ans, les ressources compétentes ont concentré toutes leurs énergies à gérer cette autre situation alarmante. Au Québec, dans le domaine de la santé et des services sociaux, on éteint un feu à la fois.

Mais le constat que l’on fait aujourd’hui est le suivant : comment a-t-on pu en arriver là ?

Cette crise touche l’ensemble de la planète. Partout dans les centres urbains, il y a des quartiers où sont concentrées des populations devenues entièrement dépendantes de drogues cheap fabriquées par des criminels sans scrupule.

Face à ce désastre, certains cherchent des responsables. C’est le cas de Pierre Viens, ancien propriétaire d’établissements dans le Village, qui a exprimé sa colère sur les réseaux sociaux en disant qu’il « accuse » Valérie Plante, mairesse de Montréal et de l’arrondissement de Ville-Marie, Manon Massé, députée de Québec solidaire dans Sainte-Marie–Saint-Jacques, et Steven Guilbeault, député fédéral dans Laurier–Sainte-Marie, d’avoir « laissé pourrir la situation ». Rien de moins.

La triple crise à laquelle nous assistons (logement-santé mentale-opioïdes) est d’autant plus étonnante qu’elle survient alors que les partis de ces trois politiciens placent les enjeux sociaux au cœur de leur raison d’être.

Il y a quelques jours, Manon Massé a fait parvenir une lettre au ministre responsable de la Métropole, Pierre Fitzgibbon. On verra si elle trouvera écho. Et comment réagiront le ministre et ses collègues.

Mais bon, cette chasse aux sorcières m’apparaît inutile face à cette crise sans précédent. Ce qu’il faut, c’est créer une véritable concertation avec les différents acteurs. Cette union sera la clé de cette bataille, car il est renversant de voir à quel point les spécialistes en place voient les choses chacun à travers leur prisme.

Plus de ressources en psychiatrie, plus de moyens et de personnel dans les centres d’injection supervisée, plus d’intervenants sociaux sur le terrain, plus de présence policière, plus de centres d’analyse des drogues, plus de logements pour les itinérants, plus de toilettes chimiques… Toutes ces réponses sont bonnes. Encore faut-il les lier.

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a annoncé vendredi dernier 1 450 000 $ supplémentaires pour prévenir les surdoses dans le Grand Montréal.

Lisez le texte « Plus d’un million pour prévenir les surdoses »

C’est une bonne nouvelle, mais c’est un diachylon sur une plaie béante. D’autant que certains organismes bénéficiaires affirment que ces sommes permettent seulement un rattrapage du financement pré-pandémie.

Il est urgent que le gouvernement Legault mette sur pied un sommet qui va réunir l’ensemble des acteurs, particulièrement ceux qui sont sur le terrain, pour s’entendre sur un solide plan d’action.

Cette crise est une véritable pieuvre. Tant et aussi longtemps que ces ressources ne travailleront pas ensemble et ne s’entendront pas sur les rôles qu’elles doivent jouer et les liens qui doivent être tissés entre elles, on demeurera impuissant.

Qui sera le leader qui osera créer cette synergie ?

Vous me direz qu’il y a surtout du blabla qui ressort de ces sommets, c’est vrai. Mais celui-ci aurait au moins l’avantage de sonner une alarme à la hauteur de ce grave problème de société.

Le dernier aspect, et non le moindre, est d’ordre juridique. À cet égard, deux camps s’opposent : ceux qui croient qu’une décriminalisation des drogues freinerait la prolifération des substances toxiques.

Et puis, il y a la répression face aux revendeurs de ces drogues de synthèse. Anne-Marie Boisvert, professeure de droit pénal à l’Université de Montréal, a porté à mon attention un arrêt de la Cour suprême datant de novembre 2021 qui indique que les juges risquent fort d’être plus sévères à l’égard de ces fabricants.

La plus haute cour a reconnu que les peines de 10 et 14 ans infligées par la Cour d’appel de l’Alberta à deux trafiquants de fentanyl (à la demande de la Couronne qui jugeait insuffisantes les peines de 7 et 11 ans imposées en première instance) étaient tout à fait justifiées.

« L’Alberta affiche l’un des taux les plus élevés de décès et de surdoses liés aux opioïdes par rapport aux autres provinces et territoires. La Cour d’appel pouvait donc tenir compte de cette crise de santé publique », peut-on lire dans le jugement.

Pendant que nous prenons conscience de l’ampleur grandissante de ce drame, des revendeurs continuent d’identifier de nouvelles substances qu’ils incorporent dans leur saleté. Avez-vous entendu parler de la drogue du zombie ? Elle contient un puissant tranquillisant pour animaux (xylazine) qui fait « pourrir » la peau. Les images que j’ai vues donnent froid dans le dos.

Cette drogue, présente aux États-Unis et dans l’Ouest canadien, a été identifiée dans des échantillons en 2020 au Canada. Elle a fait son entrée à Montréal il y a quelques mois, selon certaines analyses. Ce qui est inquiétant, c’est que la naloxone, le médicament qui sert à contrer les surdoses d’opioïdes, ne peut rien contre la xylazine.

Lisez notre dossier « Du tranquillisant pour animaux dans les veines »

Des ravages sont à prévoir.

Et là, on ne pourra pas dire qu’on n’avait pas vu les choses venir.