Des guerres au sein du crime organisé expliquent-elles la toxicité des substances vendues au centre-ville de Montréal ? La Presse en a discuté avec le commandant Francis Renaud, chef de la Section de lutte au crime organisé nord-est à la Division du crime organisé du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), et avec le spécialiste Jean-Sébastien Fallu, de l’Université de Montréal.

Qui dirige la vente de stupéfiants au centre-ville de Montréal ?

Ça dépend des secteurs. Par exemple, le Village a toujours été sous juridiction des motards du crime organisé, explique le commandant Renaud. Ailleurs au centre-ville, dans les alentours de la station Berri-UQAM, par exemple, c’est plus changeant. Dernièrement, les différentes factions du crime organisé ont décidé de se partager le territoire – et ses profits. On y retrouve les gangs de rue criminels, la mafia italienne et les motards. « On voit des factions où tout le monde va récolter sa part du marché, soutient M. Renaud. Cependant, c’est très délicat, sensible, et on n’est pas à l’abri qu’il y ait un règlement de comptes. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le commandant Francis Renaud

Ce ne sont donc pas des guerres entre groupes criminels qui expliquent la toxicité des drogues ?

En effet ! C’est plutôt l’interdiction des drogues qui entraîne l’apparition des substances plus toxiques, selon Jean-Sébastien Fallu, professeur de psychoéducation à l’Université de Montréal et rédacteur en chef et directeur de la revue Drogue, santé et société.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Sébastien Fallu, professeur de psychoéducation à l’Université de Montréal

« Ça fait en sorte qu’apparaissent toujours des substances plus dangereuses et difficiles à éliminer. Donc on crée nous-mêmes, par nos politiques, un marché toujours plus nocif et dangereux », estime-t-il. L’arrivée de drogues de synthèse n’est pas un phénomène nord-américain, rappelle l’ONU dans son dernier rapport. Ces substances – notamment les métamphétamines et le fentanyl – sont de plus en plus dominantes dans le marché international.

Consultez le rapport de l’ONU

Comment ça marche, dans la rue ?

Pour savoir quel secteur est affilié à quelle faction du crime organisé, le SPVM vérifie qui est le « gérant de quartier », détaille le commandant Renaud. Ce gérant a la responsabilité de mettre en place des vendeurs et de s’assurer que ceux-ci ne voleront pas les profits. Autre façon de savoir à qui « appartient le quartier » : trouver les gens chargés de la sécurité, qui vont s’assurer que les clients payent. Au-dessus de la mêlée, il y a bien sûr ceux qui reçoivent les dividendes, ajoute M. Renaud. « Ils ne touchent à rien et n’ont aucune conscience sociale », soutient-il.

Qu’est-ce qui se vend sur le marché noir au Québec ?

La réponse courte ? Toutes sortes de substances. La réponse longue, c’est que le principal changement dans les dernières années, ce sont les opioïdes. « L’héroïne, comme on la retrouvait il y a 10 ans, on n’en trouve presque plus sur le marché montréalais », affirme le commandant Renaud. Elle a été remplacée par des doses complètes de fentanyl, nettement plus puissantes, ajoute-t-il. La cocaïne, elle, est toujours très présente et très pure, ajoute le commandant. Du moins, avant d’être coupée une, deux, trois, quatre ou cinq fois. Le prix n’a pas bougé depuis 20 ans : 20 $ pour le quart de gramme. Toujours dans la famille de la cocaïne, le crack maintient sa popularité à Montréal.

Nouveauté : des saisies de plus en plus importantes de métamphétamines, sous forme de cristaux (crystal meth). « ​​Maintenant, on voit des saisies de plusieurs grammes, voire kilos, chose qu’on ne voyait pas avant. Donc oui, il y a une démocratisation. Pourquoi ? Je ne pourrais pas le dire », indique M. Renaud.

La drogue s’achète aussi sous forme de comprimés, non ?

Absolument. Les comprimés de party (speed, MDMA, ecstasy), « on les voit beaucoup parce qu’on a des laboratoires ici, au Québec », souligne le commandant Renaud. Les Dilaudid (un analgésique narcotique) et le Xanax (de la famille des benzodiazépines) sont normalement prescrits sous ordonnance, mais se retrouvent aussi de plus en plus dans les rues. « Ce sont souvent des jeunes qui consomment ça, rapporte M. Renaud. Ils ont fait leur apparition depuis les 10 dernières années, donc c’est relativement nouveau, et on en saisit beaucoup. » Des médicaments contrefaits jouent un rôle dans la crise des surdoses. « Souvent, dans les surdoses mortelles, il y a un Dilaudid ou du Xanax ou du crack, mélangé avec du fentanyl », observe-t-il.