Yannick Brouillette a choisi minutieusement ses mots. Mais en même temps, j’ai bien senti qu’il en avait gros sur le cœur.

Le directeur général de la Société de développement commercial (SDC) Village Montréal n’a rien contre le projet de conversion de l’Hôtel Place Dupuis (ancien Hôtel Gouverneur) en refuge pour sans-abri. Mais il veut s’assurer que tous les éléments soient réunis pour accueillir ce centre temporaire.

« Nous avons été prévenus de l’annonce de ce projet [le 29 octobre] une heure avant que ça ne soit fait, dit-il. Ça aurait été bien qu’on puisse s’exprimer et donner notre point de vue. »

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Depuis mardi dernier, l’Hôtel Place Dupuis met à la disposition des personnes en situation d’itinérance un nombre de chambres pouvant accueillir au total 380 personnes.

Mercredi, la SDC Village Montréal a fait parvenir une lettre au ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant. « Les 255 commerçant.e.s du Village comprennent que les personnes en situation de marginalité doivent être aidées pour qu’ensemble on en ressorte tous plus dignes. Mais il y a urgence de retrouver un sentiment de sécurité dans le Village. »

Ce quartier, autrefois symbole de fête et de vie nocturne débridée, fait face à de gros défis sociaux et économiques. Le Village est devenu l’un des centres de Montréal où l’on retrouve une concentration de gens aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale. Très souvent les deux.

La portion de la rue Sainte-Catherine entre Saint-Hubert et Atateken offre un tableau désolant. Quand on y passe, on n’a pas tellement envie de s’y attarder.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Yannick Brouillette

Nous avons eu un été particulièrement difficile avec la création d’un centre d’aide de jour dans le parc Émilie-Gamelin. Depuis la fermeture de ce centre, on se disait que ça allait se calmer. Mais rien n’est moins sûr.

Yannick Brouillette, directeur général de la SDC Village Montréal

Depuis mardi dernier, l’Hôtel Place Dupuis met à la disposition des personnes en situation d’itinérance un nombre de chambres pouvant accueillir au total 380 personnes. La direction de l’établissement profite de travaux de rénovation sur divers étages pour mener ce projet de concert avec la Mission Bon Accueil.

Les commerçants du Village craignent que ce refuge (uniquement accessible à la tombée du jour) continue de susciter une forte densité de gens en situation de vulnérabilité.

Il suffit de discuter avec les commerçants (comme je l’ai fait jeudi) pour prendre conscience de la dure réalité qui s’offre à eux au quotidien. Trafic de drogue, affrontements violents, épisodes psychotiques ou liés à des surdoses, squat dans des entrées de commerces, déjections humaines, consommation de crack au vu de tous, interventions policières nombreuses : voilà ce à quoi les résidants et les propriétaires de commerces de ce quartier ont droit.

« Mardi, on a vu cinq voitures de police arriver, m’a raconté le gérant d’une boutique. Ils ont interrogé un gars pendant une heure avant de le relâcher. »

« Quand il y a des policiers, il y en a qui entrent dans notre magasin pour faire leur passe de drogue », m’a confié un autre commerçant.

« Quand on fermait le magasin à 21 h les jeudis et vendredis, le patron interdisait que deux filles seules assurent la fermeture, m’a raconté une jeune employée. Et il fallait qu’un collègue masculin nous accompagne au métro ou à la voiture. »

Ce sentiment d’insécurité, il s’est installé aussi chez les visiteurs, qui sont de moins en moins nombreux à venir dans le Village.

« Ce climat est l’une des causes qui expliquent que le quartier est moins fréquenté », dit Yannick Brouillette. Ce dernier tient à rappeler que le Village reçoit chaque année environ 1,4 million de visiteurs.

Yannick Brouillette réclame un meilleur encadrement de la clientèle pour éviter les débordements dans le quartier. « On fait face à de la grosse misère humaine, dit-il. Ces gens ont besoin d’aide, de psychologues, de travailleurs sociaux. À cet égard, le projet de l’Hôtel Place Dupuis est incomplet. »

Je comprends le désarroi de la SDC Village Montréal, mais en même temps, la Ville de Montréal a voulu réagir rapidement avant l’arrivée de l’hiver. Le contraire aurait été décevant.

Face aux inquiétudes des commerçants, la mairesse Valérie Plante a promis qu’on allait maintenant mettre sur pied un plan d’intervention et de cohabitation sociale.

Une réunion avec les différents partenaires (CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Service de police de la Ville de Montréal, arrondissement de Ville-Marie, SDC, etc.) a eu lieu jeudi après-midi. Ce plan d’intervention doit être présenté la semaine prochaine.

Le problème de l’itinérance a pris des proportions énormes à Montréal. Il a des ramifications complexes. On ne sait plus par quel bout le prendre. Le contexte de la pandémie complique les choses.

Pour le moment, on a l’impression qu’on ne fait qu’appliquer des diachylons à gauche et à droite.

Un exemple de cela ? Alors que je rencontrais des membres du projet Colibri dans l’ancienne gare d’autobus de Montréal, au début d’octobre, j’ai été témoin d’une importante intervention pour déloger des sans-abri qui occupaient trois tentes installées sous les auvents.

Cela a nécessité la présence d’une quinzaine de personnes (policiers, travailleurs sociaux, représentants d’organismes communautaires, spécialistes de la médiation sociale, travailleurs de la Ville, etc.).

Je suis retourné à cet endroit jeudi. Il y avait trois fois plus de tentes.

Des diachylons, que je vous dis.

Si les candidats aux prochaines élections municipales à Montréal ont du mal à déterminer certaines priorités, qu’ils aillent faire un tour dans le Village. Ils auront un bon exemple de la terrible misère qui règne dans certains quartiers de la ville.