Avant le pot, les fleurs. Il y a plein d’avantages à vivre à Pointe-Saint-Charles, un des quartiers historiques de Montréal où jadis les Filles du Roy ont été hébergées avant de trouver mari.

On est tout juste au sud du centre-ville de Montréal. À côté du canal de Lachine, de son parc linéaire et de sa magnifique piste cyclable.

L’offre commerciale est unique et diversifiée. Venez faire un tour pour goûter un gelato chez Florence, le poulet jerk chez Boom J ou les meilleurs croissants en ville – à mon humble avis – chez Mollo. Entre autres.

Et nous ne sommes pas peu fiers de la mobilisation citoyenne de notre coin de ville qui a mis au monde en 1968 la clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles, inspiration des CLSC qui ont essaimé à la grandeur du Québec depuis.

Et que dire du Bâtiment 7, un espace autogéré d’exception pour lequel des citoyens se sont battus pendant 15 ans. Depuis son ouverture en 2018, on peut à la fois y manier le bois, réparer son vélo, caresser un lapin de la fermette et faire son épicerie. Entre autres.

Oui, il y a une tonne de raisons pour lesquelles j’habite et j’aime ce quartier depuis 16 ans et que je chante dans ma douche, « We don’t care about all the rest of Canada, we’re from Point-St-Charles » (nous n’avons rien à faire du reste du Canada, nous sommes de Pointe-Saint-Charles), l’hymne composé par les travailleurs irlandais du quartier et immortalisé dans le magnifique documentaire The Point.

Visionnez le documentaire de Robert Duncan The Point sur le site de l’Office national du film

Et maintenant, le pot. Vivre à Pointe-Saint-Charles, c’est accepter que son milieu de vie soit coupé en deux par une voie ferrée en service, que les heures de pointe soient terribles parce que les automobilistes prennent d’assaut les rues du quartier pour se rendre au pont Victoria. C’est voir, entendre et ressentir les vibrations d’immenses 18-roues qui empruntent des rues résidentielles du secteur, toujours partiellement industriel.

Et depuis le début de l’été, c’est aussi réaliser que nous sommes dorénavant condamnés à vivre avec le bruit incessant des trains du Réseau express métropolitain (REM), qui traverseront le quartier et relieront bientôt Brossard à la gare Centrale de Montréal. Vingt heures sur vingt-quatre. À grande fréquence.

L’impact du train, encore en rodage, se fait déjà sentir partout, s’il faut en croire un sondage réalisé récemment par la corporation de développement de Pointe-Saint-Charles, Action-gardien. La quasi-totalité des 250 citoyens interrogés a affirmé être perturbée par le bruit du nouveau train autant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur résidence.

Dans des articles récents, mes collègues Vincent Brousseau-Pouliot et Henri Ouellette-Vézina ont démontré que le problème n’est pas que conceptuel. Tous les deux ont effectué des tests de son dans les environs et ont pu constater que les décibels s’y accumulent vite. Trop vite. Assez pour que la Santé publique s’inquiète.

Lisez le dossier « Réseau express métropolitain : “Le bruit, c’est partout, tout le temps” » Lisez l’éditorial « Le REM, notre voisin exemplaire »

Pour ma part, depuis que je dors les fenêtres ouvertes la nuit, j’ai l’impression d’être à côté d’un vieux train suspendu de Brooklyn, pas d’un train électrique flambant neuf qu’on promettait « imperceptible ».

Et ne me lancez pas sur les irritants du chantier qui dure depuis des années !

Ce qui est le plus difficile à digérer dans tout ça, c’est que la population de Pointe-Saint-Charles – longtemps marginalisée socialement et économiquement – subit tous les inconvénients de ce nouveau projet de transport en commun sans jouir d’aucun avantage.

Pour le moment, le promoteur du REM, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ Infra), n’a pas prévu de station dans le quartier en pleine croissance démographique. Il y a un projet hypothétique de station au bassin Peel, mais il n’est pour le moment qu’une vague idée.

La station la plus proche, celle de Griffintown, le quartier voisin, ouvrira « d’ici 2027 ».

Et le problème de bruit ? CDPQ Infra affirme qu’elle entreprend de nouveaux tests de son pour voir si des mesures d’atténuation du bruit devront être mises en place à une date ultérieure. Comme si les témoignages d’un quartier en entier ne suffisaient pas pour passer à l’action immédiatement !

« Encore une fois, nous sommes les laissés-pour-compte », se désole Margot Silvestro, artiste et organisatrice communautaire ultra-connue dans la Pointe.

Les mouvements citoyens à la Pointe, dit Mme Silvestro, ne sont plus ce qu’ils étaient. Ancien quartier ouvrier où régnait une certaine homogénéité sociale, Pointe-Saint-Charles est aujourd’hui un des secteurs les plus diversifiés de la métropole. Les plus riches y côtoient les plus démunis. La dualité anglais-français saute aux oreilles. « On voit depuis la pandémie que la mobilisation est plus faible, mais le REM risque de changer les choses. Qu’importe leur classe sociale, les citoyens subissent de la même manière les désagréments », estime Margot Silvestro. Il y a un début de colère commune qui gronde dans les coopératives d’habitation comme dans les condos de luxe. Un début de cause commune.

Et si l’histoire nous apprend une chose, c’est que lorsque les gens de Pointe-Saint-Charles se serrent les coudes, ils sont d’une efficacité légendaire.