La première fois que je vous ai parlé de lui, nous étions encore en état de choc. Collectivement abasourdis. Étourdis par les chiffres, les courbes à aplatir, le confinement, le port du masque (ou pas), la quête désespérée de Purell et de papier de toilette. Nous étions tous atterrés par la mort, tapie dans l’ombre des CHSLD.

Et voilà que dans ce climat de fin du monde nous arrivait ce gourou barbu aux longs cheveux blancs. Un sauveur rebelle, comme dans les films. Un microbiologiste français et son remède miracle : l’hydroxychloroquine.

Didier Raoult avait mené une étude sur une vingtaine de patients – en écartant de son modeste échantillon ceux qui avaient eu la mauvaise idée de mourir ou de se retrouver aux soins intensifs en cours de route. Le résultat, forcément, était fabuleux.

Ça tombait bien : nous voulions y croire. Nous avions besoin d’espoir. « Face à l’hécatombe annoncée, le DRaoult a le mérite de proposer quelque chose. N’importe quoi. À défaut de suivre les protocoles, bien des gens font le choix de suivre le prophète », écrivais-je le 2 avril 2020, au début de la tempête pandémique.

Lisez la chronique « Ruée vers un remède miracle… ou mirage »

Aux scientifiques qui sonnaient déjà l’alarme, critiquant son échantillon rachitique, le DRaoult rétorquait que « plus l’échantillon d’un test clinique est faible, plus ses résultats sont significatifs ». Ah bon. Il déclarait ensuite, péremptoire, que « tout essai qui comporte plus de 1000 personnes est un essai qui cherche à démontrer quelque chose qui n’existe pas ».

Trois ans plus tard, Didier Raoult vient de prépublier une étude portant cette fois sur… 30 423 patients ! Décidément, la contradiction ne lui fait pas peur.

Il a pourtant raison sur une chose. Cette nouvelle étude cherche bien à « démontrer quelque chose qui n’existe pas » : l’efficacité de son fameux traitement à l’hydroxychloroquine.

Le prof Raoult prétend avoir sauvé 800 patients de la mort, pendant la pandémie, à l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille.

Petit rappel utile pour ceux qui n’auraient pas bien suivi : de nombreuses études – bien faites, celles-là – ont conclu à l’inefficacité de l’hydroxychloroquine pour réduire la charge virale d’un malade infecté par le virus de la COVID-19. Là-dessus, le débat scientifique est clos.

Mais le DRaoult persiste et signe. Encore une fois, il adopte une méthodologie tordue pour arriver à la conclusion désirée. Il compare des pommes et des oranges. Ou, plus précisément, de jeunes patients, qui ont reçu son traitement, et des patients âgés souffrant de troubles cardiaques, qui ne l’ont pas reçu puisque l’hydroxychloroquine leur était contre-indiquée.

Devinez qui a le mieux survécu ? Eh oui, les chanceux qui ont reçu son traitement. Miracle !

Cette fois, c’est assez. Didier Raoult est allé trop loin. Et ce n’est pas qu’un problème de méthodologie. Le scandale va bien au-delà de ça.

Le 28 mai, 16 sociétés savantes françaises ont signé une tribune dans Le Monde pour dénoncer le « plus grand essai thérapeutique “sauvage” connu à ce jour ». Elles appellent les pouvoirs publics à mettre fin à l’impunité dont jouit le DRaoult depuis trois ans.

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Ça ne passe plus. Au printemps 2020, on pouvait encore prétexter l’urgence de la flambée épidémique. Pour sauver des vies, on pouvait se permettre des accrocs à l’éthique et aux protocoles scientifiques. Plus maintenant.

On ne peut plus permettre l’administration d’un traitement que la science sait inutile à 30 423 personnes. Le DRaoult a transformé ces gens en cobayes, leur prescrivant un cocktail expérimental en dehors de tout cadre éthique et juridique, dénoncent les signataires de la tribune.

Incroyablement, ces prescriptions massives « se sont poursuivies plus d’un an après la démonstration formelle de leur inefficacité ». Et de leurs risques, bien réels. Risques cardiaques, d’abord. Risques de pousser les gens à refuser la vaccination, ensuite.

Un mois avant de succomber à la COVID-19, les frères Grichka et Igor Bogdanov n’avaient-ils pas cité Didier Raoult pour justifier leur refus de l’injection ? Combien d’autres adeptes du gourou Raoult, en France et ailleurs, ont subi le même sort ? Combien de morts indirectes ?

Et surtout : comment expliquer la désespérante complaisance des autorités françaises envers celui qu’il faut bien qualifier de charlatan de la COVID-19 ? Elles savaient, pour le bidouillage des données. Pour les études bâclées. Pour les méthodologies tortueuses. Pour l’exposition de patients à un traitement inutile et risqué. Elles n’ont rien fait, ou presque.

On dirait que le vent tourne, enfin. Mardi, le gouvernement français a condamné l’étude du DRaoult, y voyant un « nouveau manquement aux règles éthiques et déontologiques ». Mercredi, une perquisition a été effectuée à l’IHU Méditerranée Infection. L’étau se resserre autour du microbiologiste de Marseille.

Fidèle à son habitude, Didier Raoult a répondu par l’insulte, clamant ne pas avoir lu cette « tribune d’imbéciles » et faisant preuve d’une suffisance monumentale. « Il n’a jamais supporté la contradiction. Il est impossible de survivre avec lui si on n’est pas d’accord sur tout. Ce comportement l’a poussé à s’isoler, à se couper de toute critique et à s’enfermer à l’intérieur d’une sphère d’adoration », explique sa fille, Magali Carcopino-Tusoli, au magazine L’Express.

Elle ne parle plus à son père depuis 10 ans. « Il se rêvait Prix Nobel, il est devenu leader des complotistes et des antivax. » Triste constat. En un sens, son insupportable père est pourtant bel et bien génial, admet-elle : « Arriver à faire à ce point n’importe quoi relève, effectivement, du génie. »

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