Le Canada deviendra le premier pays au monde à exiger des avertissements sanitaires imprimés directement sur les cigarettes individuelles, a annoncé mercredi le gouvernement Trudeau. Une mesure acclamée par des groupes de santé, mais qui suscite l’incompréhension de l’industrie du tabac.

« La cigarette endommage vos organes » « La cigarette cause l’impuissance » « Du poison dans chaque bouffée ». À partir de 2025, chaque cigarette, petit cigare et autre produit du tabac seront individuellement dotés d’un avertissement pour les consommateurs.

L’annonce a été faite mercredi par la ministre de la Santé mentale et des Dépendances, Carolyn Bennett à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac. L’objectif est d’aider les adultes qui fument à arrêter, protéger les jeunes et les non-fumeurs de la dépendance à la nicotine, et réduire l’attrait du tabac.

« À partir de l’année prochaine, ces nouvelles mesures contribueront à faire en sorte que tous puissent recevoir des informations crédibles sur les risques du tabagisme, afin de faire des choix plus sains pour son bien-être », a déclaré le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos.

Dès avril 2024, les détaillants devront vendre des produits du tabac affichant de nouveaux messages relatifs à la santé. Les cigarettes de format long seront les premières à arborer des avertissements sanitaires individuels d’ici juillet 2024. Par la suite, les cigarettes de format régulier, les petits cigares avec papier de manchette et les tubes devront également comporter ces avertissements d’ici avril 2025.

Informer les jeunes

« Ça semble être une bonne idée. C’est une innovation du côté du gouvernement fédéral de faire ce genre de pas de l’avant. Il faut saluer ces initiatives, surtout d’un point de vue de santé des enfants », a déclaré à La Presse le DNicholas Chadi, pédiatre au CHU Sainte-Justine et auteur des recommandations de la Société canadienne de pédiatrie sur le tabagisme et le vapotage.

L’avertissement imprimé directement sur les cigarettes individuelles concerne particulièrement les jeunes qui pourraient ne pas prêter attention à l’emballage, a indiqué le gouvernement fédéral.

« Parfois chez les enfants et les adolescents qui commencent jeune à fumer, ils ne vont pas acheter eux-mêmes un paquet de cigarettes, ils vont s’en faire donner ou vont demander des cigarettes individuelles à des pairs ou à des membres de la famille. Donc d’avoir cet avertissement sur chaque cigarette, ça augmente les chances qu’ils reçoivent le message », explique le DChadi.

Un effet aversif et repoussant

Il est difficile de savoir quel impact aura réellement ces nouvelles mesures, indique le DChadi. Or, certaines études ont démontré « que de mettre des avertissements et des images graphiques sur les paquets de cigarettes peut avoir un effet aversif et repoussant pour les enfants et les adolescents », note le spécialiste.

Le gouvernement fédéral a prévu effectuer une rotation dans les messages affichés sur les produits du tabac et les paquets selon un calendrier prédéterminé. Le contenu des messages liés à la santé, comme les images et le texte, pourra aussi être modifié pour refléter les recherches scientifiques les plus récentes.

Le Canada souhaite que ces nouvelles mesures contribuent à réaliser leur objectif d’atteindre un taux de tabagisme inférieur à 5 % d’ici 2035. « En ce moment, on est à environ 12 %, donc plusieurs mesures doivent se multiplier pour atteindre l’objectif », a indiqué le directeur des relations gouvernementales au Québec à Coeur+AVC, Kevin Bilodeau, qui s’est réjoui de l’annonce.

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac a également accueilli avec enthousiasme le nouveau règlement. « Comme n’importe quelle publicité inchangée depuis 10 ans, les avertissements qui se retrouvent depuis 2011 sur les paquets de cigarettes avaient perdu de leur efficacité auprès des fumeurs et leur entourage », a déclaré par voie de communiqué Flory Doucas, codirectrice et porte-parole de la Coalition.

Une mesure « contre-productive »

Pour Éric Gagnon, vice-président des affaires juridiques et externes chez Imperial Tobacco Canada, il est difficile de comprendre le raisonnement du gouvernement concernant ces nouvelles réglementations. Il soutient notamment que ces mesures n’auront aucun impact sur le marché canadien de cigarettes illégal, « qui bénéficiera à nouveau d’un avantage concurrentiel par rapport aux fabricants de tabac légaux », dit-il.

Il estime par ailleurs que ces nouvelles réglementations exigeront plus de 20 % d’emballages en carton et environ 19 % d’encre en plus par rapport aux emballages de cigarettes actuels. « Cette mesure semble contre-productive alors que les gouvernements tentent de réduire la charge des emballages sur l’environnement », dit-il.

À venir

31 janvier 2024

Les fabricants devront afficher quatorze nouvelles mises en garde illustrées sur l’extérieur des produits du tabac. Les messages apparaissant à l’intérieur des paquets devront également être améliorés.

30 avril 2024

D’ici un an, les fabricants devront ajouter des avertissements sanitaires à même les cigarettes de format long, soit d’une longueur de 83 à 85 mm.

31 janvier 2025

Ce sera ensuite au tour des cigarettes de format régulier, soit de 70 à 73 mm, les petits cigares avec papier de manchette et les tubes d’arborer des avertissements sanitaires.

31 juillet 2026

Ultime étape de ce nouveau règlement, le rabat supérieur des paquets de cigarettes affichera des messages d’information sur la santé.

Tabac : retour en arrière

De l’interdiction de fumer dans les écoles à l’introduction d’emballages de cigarettes neutres, le Québec et le Canada ont mis en place une série de mesures strictes pour combattre le tabagisme dans les dernières décennies. Retour en arrière.

1986

Il devient interdit de fumer dans les organismes gouvernementaux, municipaux, scolaires et les établissements de santé et de services sociaux du Québec. Le règlement ne s’applique toutefois pas dans un lieu réservé à l’usage du personnel ou dans un fumoir. La cigarette est également bannie à bord de tous les avions canadiens durant les vols de deux heures ou moins.

1998

La cigarette est bannie des milieux de travail. Dans les restaurants, un maximum de 40 % des places réservées à la clientèle peut être considéré comme des places où il est permis de fumer.

2000

Le Canada instaure pour la première fois des règles concernant des images choquantes sur les emballages de cigarettes, dans le but de montrer les dangers pour la santé et les effets néfastes du tabagisme.

2003

Le Canada interdit toute promotion liant une marque de cigarettes à une activité sociale, culturelle ou sportive. Le Stade de tennis du parc Jarry perd son appellation de « Stade du Maurier ». De son côté, Imperial Tobacco Canada abolit son Équipe Player’s et sa Fondation Mode Matinée.

2006

Il devient interdit de fumer dans les bars, les brasseries, les tavernes et les salles de bingo au Québec. Les aires « fumeurs » dans les restaurants, les centres commerciaux, les salles de quilles, les salles de billard, les centres de congrès et les autres lieux de divertissement disparaissent également.

2008

Les détaillants sont tenus de cacher les produits du tabac de la vue des clients. Cette mesure vise à décourager l’achat impulsif de cigarettes et à réduire l’exposition des jeunes aux produits du tabac.

2011

Les avertissements illustrés doivent désormais occuper 75 % du recto et du verso des paquets de cigarettes. Ces avertissements sont accompagnés de messages de santé colorés et d’images, ainsi que de déclarations claires sur les émissions toxiques et les composants dangereux présents.

2016

L’interdiction de fumer dans les véhicules en présence de personnes de moins de 16 ans entre en vigueur au Québec. Cette mesure vise à protéger les enfants des effets néfastes de la fumée secondaire. La même année, il devient interdit de fumer à moins de neuf mètres des portes et fenêtres des bâtiments publics, ainsi que de fumer sur les terrasses des restaurants et des bars.

2019

Les emballages et les produits du tabac doivent adopter une apparence neutre. Tous les emballages de produits du tabac doivent être d’une couleur brun terne uniforme et ne contenir que le texte autorisé, présenté dans un format standardisé en termes d’emplacement, de style de police, de couleur et de taille.