Une députée libérale qui invite les enfants à briser l’« omerta ». Un autre qui appelle les élèves à dénoncer leurs profs « de toutes les manières possibles ». Et plein de gens qui hochent la tête : ouais, faut vraiment briser l’omerta !

Êtes-vous complètement cinglés ?

C’est vraiment ça que vous voulez ? Une société d’hypersurveillance mutuelle où les élèves enregistrent leurs profs et où les parents font des vidéos de dénonciation ? La délation générale comme système de discipline professionnelle ?

Pour parler à des gens dans le milieu de l’enseignement, et pour avoir vu mes trois enfants y évoluer, je vous dirais que j’ai bien plus peur de la délation systématique sur les réseaux sociaux et des parents fous que des profs hurleurs.

Par « parent fou », je n’entends pas une personne ayant besoin de soins psychiatriques. Je parle de gens comme vous et moi. Pardon. Pas « comme ». Je parle de vous et moi.

Nous tous qui flippons tout d’un coup parce que notre enfant a reçu une note trop sévère, a été laissé sur le banc pendant la partie de hockey, s’est fait poussailler dans la cour.

Bref, quand l’adversité ordinaire, inévitable, prévisible de la vie vient dépeigner latéralement ce pauvre chou élevé si parfaitement.

Des directions d’école au Québec ont commencé à écrire des lettres aux parents en début d’année scolaire pour leur rappeler une sorte de code de conduite dans leurs interactions avec les profs.

Parce que savez-vous quoi ? Des parents qui gueulent, qui insultent, qui remettent en question les profs pour un oui ou pour un non (surtout pour un non), ça aussi, on pourrait en faire des vidéos. On pourrait en faire des longs métrages, des séries de plusieurs saisons à 25 épisodes.

Bien sûr, hurler en classe comme un putois, insulter les enfants, tout ça est indéfendable. Évidemment qu’il y a des incompétents parmi les enseignants. C’est vrai que les syndicats protègent trop certains de ces incompétents. Peut-être bien qu’un « ordre professionnel des enseignants » aiderait à discipliner les déviants, comme suggérait le collègue Lagacé hier.

Tout ça est vrai.

Mais le degré d’énervement politique actuel pour deux, trois vidéos troublantes tient carrément du délire collectif.

Parler d’omerta, qui fait référence au milieu criminel et au danger qu’il y a à en trahir les secrets, c’est déjà installer la discussion dans un univers parallèle. Ce qui se passe à aire ouverte devant toute une classe reste rarement sous le coup d’un quelconque silence. Au contraire, l’école étant un milieu de vie intense, l’information se propage, s’amplifie, se déforme.

Quand une vidéo semblable fait surface, l’indignation publique est instantanée et tout à fait compréhensible. Tout aussi normal : la classe politique se saisit de l’affaire.

Qu’est-ce qui se passe dans nos écoles, madame la présidente !?

C’est correct, c’est le jeu politique. Tout le monde veut montrer qu’il prend ça au sérieux. Mais est-ce vraiment le sujet d’une crise nationale ? L’occasion d’en appeler à la libération des enfants soumis à la loi du silence ?

Le ministre de l’Éducation prend son air grave et signifie qu’il prend l’affaire au sérieux. Et pour les enfants, ce l’est. Mais que voulez-vous qu’il fasse ? Sous aucun gouvernement on ne vivra dans un système où tous les profs sont parfaits tout le temps.

S’il faisait comme je viens de faire, s’il disait : « Arrêtez de capoter pour trois anecdotes regrettables », il aurait l’air insensible aux nouvelles du soir. On dirait qu’il minimise la gravité des évènements.

Faudrait quand même juste mettre les choses dans une perspective un peu moins sinistre.

En additionnant le primaire et le secondaire, il y a environ 1,2 million d’enfants dans les écoles du Québec. Seulement dans le réseau public, il y a aux dernières nouvelles 92 213 membres du personnel pour leur enseigner. Si la violence verbale était répandue au point de nécessiter une stratégie nationale de dénonciation, ça se saurait.

On pourrait certainement démontrer que la violence verbale et physique est bien moins répandue dans les écoles qu’il y a 50 ans. Parce qu’elle est universellement jugée intolérable.

Il y a d’autres urgences à régler dans nos écoles avant d’installer des caméras-espions, des micros cachés et un climat général de suspicion.