Cette semaine, deux enregistrements d’enseignants québécois qui ont été verbalement violents envers des élèves ont mis le feu aux manchettes. Avec raison.

Résumons…

D’abord, QUB radio⁠1 a diffusé des enregistrements d’une enseignante de l’école des Grands-Vents, à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, qui s’adressait à ses élèves de première année avec la subtilité d’une gardienne de prison, dans des coups de gueule glaçants.

Ensuite, à l’émission de Paul Arcand⁠2, le journaliste Frédéric Labelle a diffusé l’enregistrement d’un enseignant de l’école secondaire Édouard-Montpetit, dans l’est de Montréal, qui crie des insultes à une élève, dénigrant notamment son apparence et tenant pour acquis qu’elle va finir « sur le BS ».

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Avant d’aller plus loin, je veux simplement rappeler un fait de base, qu’il serait malheureux d’oublier dans la stupeur générale : l’immense majorité des profs au Québec fait son travail avec dignité, sans tomber dans ces excès scandaleux.

Maintenant, quelques questions se posent dans le cas des enseignants enregistrés en train de traiter leurs élèves comme du bétail, à Sainte-Marthe (centre de services scolaire des Mille-Îles) et à Montréal (centre de services scolaire de Montréal).

Qui savait quoi, à quel moment ? Est-ce que les directions savaient ? Le cas échéant, qu’a-t-on dit, qu’a-t-on fait ? Ces profs ont-ils été sanctionnés dans le passé ? A-t-on manœuvré pour étouffer ces affaires ?

Dans les deux cas, des informations ont circulé voulant que, justement, les directions d’école n’aient pas affiché une grande clarté morale quand ces affaires n’étaient pas dans les manchettes.

On verra ce qui va ressortir des enquêtes à venir. Mais je veux souligner à grands traits, ici, une des difficultés inhérentes à cette minorité de cas de profs qui disjonctent et qui maltraitent des élèves : ces affaires sont toujours traitées sous le seul prisme de la convention collective, des simples relations de travail.

Au Québec, il n’y a pas d’ordre des enseignants.

Résultat : au Québec, on ne peut pas découpler la performance de l’employé de sa performance pédagogique, comme prof. Tout est traité sous le prisme de la convention collective.

Ce n’est pas le cas en Ontario.

En Ontario, il y a un ordre des enseignants. L’ordre, comme tous les ordres professionnels, accueille des plaintes du public. Il mène des audiences disciplinaires. Il peut suspendre des droits de pratique, temporairement ou définitivement. Ces audiences – et les décisions qui en découlent – sont publiques.

J’ai par exemple tapé le mot « violence » dans le moteur de recherche et des dizaines de résultats sont apparus⁠3. Au hasard, j’ai cliqué sur le cas Michael Anthony Lewis, enseignant au secondaire, dans une cause traitée par l’Ordre en 2017. M. Lewis a commis plusieurs actes de violence verbale, de propos dérogatoires à l’endroit de plusieurs élèves, sur plusieurs années.

Sanction : révocation immédiate de son certificat de qualification⁠4.

Motif : « M. Lewis a adopté une série de comportements tout à fait inappropriés, agressifs et contraires aux devoirs de la profession. »

Au Québec, le nombre de brevets d’enseignement révoqué est considérablement plus bas qu’en Ontario, comme l’a démontré ma collègue Marie-Eve Morasse⁠5.

Au Québec, ce genre de transparence n’arrivera jamais : parce que tout est traité sous l’angle de la convention collective, tout est à peu près confidentiel.

Au Québec, sanctionner une enseignante sous le seul prisme de la performance pédagogique est impossible : c’est le prisme des relations de travail qui prime, celui des relations de travail, du lien employé-employeur. Point.

En 2015, j’ai enquêté sur une enseignante qui avait traumatisé des élèves du primaire et du secondaire pendant au moins 15 ans⁠6. Tout le monde savait que cette enseignante était incompétente, qu’elle humiliait les élèves – parfois aussi jeunes que 6 ans – de multiples façons.

Pas mêlant : la rumeur de cette prof-terreur se répandait chez les parents dans les couloirs de CPE et dans les parcs du voisinage AVANT que les enfants ne soient d’âge scolaire…

Des parents s’étaient plaints, sur plusieurs années, de son comportement inapproprié.

Résultat de ces plaintes : zéro.

Quand j’ai commencé à poser des questions, j’ai pu découvrir certaines choses troublantes sur la gestion des enseignants qui disjonctent.

D’abord, c’est un job à temps plein pour une direction déjà débordée de documenter ces comportements.

Ensuite, le syndicat va toujours – TOUJOURS – offrir une défense enthousiaste pour défendre ces éléments les plus problématiques.

J’ajoute : ce qui dominait l’analyse du dossier de cette prof par le boss et le syndicat, c’était a) la convention collective b) les droits de la syndiquée et c) le grief va-t-il être gagné ou perdu ?

Et le droit des élèves à avoir une prof qui ne les humilie pas ?

Ce droit n’existe pas dans le prisme des relations de travail, ni au syndicat ni chez le boss.

Et une « note au dossier » disciplinaire d’une enseignante est effacée après quelques mois, si l’enseignante se tient à carreau. Ainsi, si la prof est l’objet d’une autre plainte de même nature dans un an, les compteurs sont remis à zéro : la plainte précédente n’existe pour ainsi dire plus.

C’est ainsi que ça se passe, quand on analyse le comportement d’un prof par le seul prisme du droit du travail.

Les syndicats d’enseignement au Québec sont farouchement opposés à la création d’un ordre des enseignants. Je les comprends : ils perdraient un monopole de juridiction ET leurs membres les moins prolifiques seraient à risque. Soulignons que les gouvernements successifs n’ont jamais imposé un ordre des enseignants, surtout parce que cela générerait une immense bataille avec les syndicats.

En 2015, j’avais conclu mon enquête sur cette prof qui avait terrorisé des élèves sur près de deux décennies, au vu et au su de la Commission scolaire de Montréal et de l’Alliance des profs, par ces mots : « Si l’école était importante au Québec, la convention collective ne serait pas le seul étalon de la performance d’un enseignant. »

Les deux cas de violence verbale de cette semaine militent pour un ordre des enseignants : ce sont de mauvais profs avant d’être de mauvais syndiqués. C’est d’abord par ce prisme, celui de la pédagogie, qu’on doit les juger.

Quant à la prof problématique dont je vous parlais, celle qui était inamovible depuis 15 ans malgré un barrage de plaintes, la CSDM et l’Alliance des profs avaient soudainement vu la lumière en cette fin d’année scolaire 2015, maintenant que La Presse enquêtait…

L’a-t-on congédiée, suspendue ?

Non, on l’a changée d’école et de quartier…  

Aux dernières nouvelles, elle sévissait dans un quartier défavorisé où, peut-on penser cyniquement, les parents sont moins mobilisés que ceux du quartier riche de son ancienne école.

1. Écoutez les enregistrements obtenus par QUB Radio 2. Écoutez l’enregistrement diffusé à l’émission de Paul Arcand 3. Consultez le registre des décisions disciplinaires de l’Ordre des enseignants de l’Ontario 4. Consultez le cas de Michael Anthony Lewis 5. Lisez l’article « Peu de brevets d’enseignants sont révoqués au Québec » 6. Lisez la chronique « Si l’école était importante (5) »