En Ontario, 28 enseignants ont vu leur brevet révoqué dans la seule année 2020, dont 25 pour de mauvais traitements d’ordre sexuel. Au Québec, il a fallu cinq ans pour révoquer autant de brevets. Un ordre professionnel des enseignants ferait-il la différence ?

En 2016, dans une classe de l’Ontario, un enseignant raconte à ses élèves qu’il a « couché avec une fille dans chaque université ontarienne parce que c’était son objectif ».

L’année suivante, il qualifie des parties du corps d’une élève de « sexy » et fait d’autres commentaires à caractère sexuel à son endroit devant toute la classe.

Nicholas Paul Demopoulos est reconnu coupable de faute professionnelle en 2021. Son certificat d’enseignement est suspendu pour quatre mois, il reçoit une réprimande et il doit suivre, à ses frais, un cours sur « le respect des limites ».

Cette décision, comme des centaines d’autres, est publique. L’Ordre des enseignants de l’Ontario fête cette année ses 25 ans, et son existence même permet de savoir quelles qualifications possède un enseignant, lesquels ont été blâmés par leur ordre ou ont perdu leur permis d’enseigner.

Tout est disponible sur le site internet de l’Ordre : une recherche par ordre alphabétique permet de trouver un membre en quelques minutes.

Les audiences du tribunal disciplinaire sont publiques, tout comme les décisions qu’il rend. Les 231 000 membres de l’Ordre reçoivent ces sommaires par l’entremise de leur bulletin électronique mensuel.

« C’est la section la plus populaire. Ça éduque les membres : les comportements ne sont pas toujours noirs et blancs. Ça leur permet de voir où est la ligne, à quoi il faut faire attention, quoi ne pas faire », dit Gabrielle Barkany, porte-parole de l’Ordre.

Pas d’ordre au Québec

Au Québec, un tel ordre n’existe pas. C’est le ministère de l’Éducation qui reçoit les plaintes et qui révoque les autorisations d’enseigner. En cinq ans, 26 brevets ont été révoqués en raison « d’un antécédent judiciaire », deux l’ont été à la suite d’une plainte.

Toutes ces révocations – sauf six – étaient pour des « comportements de nature sexuelle », précise le ministère de l’Éducation

Les autres enseignants ont été exclus de la profession pour négligence criminelle, pour des infractions liées aux drogues, pour voies de fait, pour négligence et incompétence, mais aussi pour manque de jugement et d’éthique professionnelle.

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Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation

Dans la dernière année, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a lui-même annoncé sur les réseaux sociaux qu’il révoquait le brevet de deux enseignants dont les cas avaient été médiatisés.

Il s’agit de Simon Lamarre, un enseignant reconnu coupable de voyeurisme, et de Dominic Blanchette, accusé d’avoir agressé sexuellement une jeune fille de 11 ans.

« Pas dans les priorités » de la CAQ

Lors de la campagne électorale de 2012, François Legault avait promis la création d’un ordre professionnel des enseignants si la Coalition avenir Québec (CAQ) était élue. Cette promesse n’a pas été retenue à l’élection de 2018 et au cabinet de Jean-François Roberge, on indique que la création d’un tel ordre « ne figure pas dans les priorités ».

La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) n’adhère pas plus à l’idée. Sa présidente, Josée Scalabrini, estime qu’il y a tout ce qu’il faut dans la Loi sur l’instruction publique pour protéger le public. Le gouvernement doit mieux faire connaître ces recours, ajoute-t-elle toutefois.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

Souvent, quand il y a des plaintes portées en Ontario contre un enseignant, qu’il soit coupable ou non, avant même qu’il y ait un processus, le nom se retrouve sur la place publique et il est sali d’avance.

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

À l’Ordre des enseignants de l’Ontario, on parle plutôt de « transparence ».

Tout le monde peut porter plainte contre un enseignant : un collègue, un parent, un élève, le registraire de l’Ordre, le ministère de l’Éducation.

« Les plaintes contre les enseignants sont rares : même pas 1 % par rapport au nombre de membres qu’on a », explique la porte-parole de l’Ordre, Gabrielle Barkany.

Des 1500 plaintes reçues chaque année, environ la moitié n’est pas en lien avec une inconduite professionnelle. Si un parent reproche par exemple à un prof de ne pas avoir organisé de fête d’Halloween pour ses élèves, il sera dirigé vers une instance locale, comme la direction de l’école.

« Je ne dis pas que fêter l’Halloween n’est pas important, mais on traite des questions sérieuses, reliées à la loi », dit en riant Gabrielle Barkany.

Jean Bernatchez, professeur de sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski et spécialiste de la gestion et de la gouvernance scolaire, observe que l’idée d’un ordre professionnel fait tranquillement son chemin au Québec.

« Il y a une quinzaine d’années, les gens étaient drôlement allergiques à ça, mais de plus en plus de gens semblent adhérer », dit-il.

L’école Saint-Laurent, « un drame », dit Roberge

Le cas de l’école secondaire Saint-Laurent aura marqué le monde de l’éducation cette année : trois entraîneurs de basketball ont été accusés d’agression sexuelle, d’exploitation sexuelle et d’incitation à des contacts sexuels sur des joueuses. Des gestes qui se seraient déroulés pendant de nombreuses années.

« Ce n’était pas de l’ordre de l’anecdote. C’était le symptôme d’un malaise ou d’une maladie », dit en entrevue le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge.

D’anciennes joueuses, des parents et des membres du personnel de l’école ont témoigné avoir tenté de dénoncer la situation, mais s’être butés à une culture du silence à l’école.

La réforme du Protecteur de l’élève fait en sorte qu’une telle situation ne « pourrait pas perdurer », estime aujourd’hui le ministre.

« Le personnel, maintenant, peut faire un signalement au Protecteur de l’élève et il est protégé contre toute mesure de représailles. Les gens qui feraient des représailles [à la personne qui signale] s’exposent à des sanctions pénales », dit Jean-François Roberge.

« C’est un changement de culture. On va le voir dans les prochaines années », assure M. Roberge. La nouvelle mouture du Protecteur de l’élève doit être implantée en septembre 2023.

En savoir plus
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    Nombre de plaintes reçues envers des enseignants de 2018 à 2022
    Source : Ministère de l’Éducation
    113 345
    Nombre d’enseignants au Québec en 2020-2021
    Source : Ministère de l’Éducation