La journée du 7 août 2022 restera gravée à tout jamais dans la mémoire de Simon Gamache, directeur général de Fierté Montréal. Elle est tatouée du malheureux cafouillage qui a mené à l’annulation du défilé qui devait rassembler 100 000 spectateurs et 12 000 participants.

« Ce fut clairement la pire journée de ma vie professionnelle », m’a-t-il dit au cours d’une entrevue où il rompt enfin le silence huit mois après cette date fatidique. Simon Gamache a souhaité me rencontrer. Il m’a parlé avec sa tête, mais aussi avec son cœur.

Je ne reviendrai pas sur tous les détails entourant le dénouement de cette journée, mais rappelons que tôt, ce matin-là, des employés se sont rendu compte qu’une centaine « d’agents d’accueil », chargés de voir à la sécurité de l’évènement, n’avaient pas été affectés à cette tâche.

Un quiproquo entre deux employés, suivi d’échanges chaotiques et d’actions faites trop rapidement, a fait croire que l’évènement était officiellement annulé. Lorsqu’il arrive sur place, environ une heure plus tard, Simon Gamache réalise que de nombreux bénévoles ont quitté les lieux et que les policiers ont rouvert le boulevard René-Lévesque à la circulation.

Le ciel lui tombe littéralement sur la tête ! Mis devant le fait accompli, celui qui est en poste depuis septembre 2021 ne peut faire autrement que de confirmer l’annulation. « Il était trop tard pour revenir en arrière. Quand le dentifrice sort du tube, c’est difficile de le rentrer. »

C’est alors qu’une tornade se forme. Malgré l’extrême tension qui règne, Simon Gamache met de côté les émotions qu’il aurait pu ressentir, la colère par exemple, et se met « en mode opérationnel ».

Un relevé de ses appels téléphoniques indique qu’il en a fait près de 95 en trois heures. L’une des communications vise le bureau de François Legault. « Près de 35 élus des trois paliers devaient participer au défilé, reprend Simon Gamache. Cela implique des enjeux de sécurité avec la SQ et la GRC. Il fallait joindre tous ces gens. »

Seul dans le stade

Alors qu’elle tente de voir plus clair, l’équipe de Fierté Montréal doit aussi combattre l’incontournable machine à rumeurs qui va bon train sur les réseaux sociaux. Certains internautes avancent l’hypothèse d’une menace terroriste, d’autres prétendent que la faute incombe aux policiers, car la veille du défilé un quotidien rapportait que Simon Gamache ne souhaitait pas leur présence.

Cela est sans compter la pluie d’insultes qui s’abat sur l’équipe de Fierté Montréal. « Les journalistes commençaient leur entrevue en me demandant si j’allais démissionner », se souvient le DG.

À la fin de la journée, vers 17 h, Simon Gamache éprouve le besoin d’être avec les membres de son équipe. Il se rend au Parc olympique, là où 25 000 personnes prennent part à un tea dance. « Je suis monté dans la voiture d’une collègue. J’étais traumatisé. Je me suis calé dans mon siège de peur que les gens me voient. J’avais peur pour ma sécurité. »

Sur place, il a droit à un curieux mélange de réactions. « Certains pleuraient, d’autres exprimaient leur incompréhension totale. J’étais incapable de leur répondre. Voyant cela, je suis entré dans le Stade et je suis allé m’asseoir seul dans les gradins. »

Simon Gamache m’a raconté ce passage les yeux pleins d’eau.

Des collègues sont venus me voir un à un pour me dire que ça allait bien aller… Ce qui me touche après coup, c’est que l’équipe est demeurée intacte. On a vécu ça ensemble. On deale encore avec ça, mais on avance.

Simon Gamache, directeur général de Fierté Montréal

Les deux personnes à l’origine du quiproquo sont toujours employées de Fierté Montréal. « Ces personnes n’étaient tout simplement pas dans les bons rôles au bon moment, explique Simon Gamache. Elles occupent d’autres fonctions. »

Bien sûr que Simon Gamache, musicien de formation et ex-directeur de production chez Analekta, a songé à remettre sa démission. « J’ai dû me regarder dans le miroir. Je me suis demandé si j’avais fait des erreurs répréhensibles. La réponse est non. Je me suis surtout demandé si ça valait le coup de continuer à faire cette job. La réponse est oui. »

Au lendemain de cette catastrophe, Valérie Plante a demandé à rencontrer l’équipe de Fierté Montréal, un évènement qui compose avec un budget d’environ 6 millions, dont 400 000 $ de la Ville de Montréal. En point de presse le dimanche, la mairesse de Montréal avait exprimé une certaine exaspération. « Le lundi, elle était plutôt en mode solutions, dit Simon Gamache. Elle voulait savoir ce que son équipe pouvait faire pour nous épauler. »

C’est ainsi que l’idée d’une analyse rigoureuse du fil des évènements a été mise de l’avant. Ce mandat a été confié à Philippe Schnobb, ex-président de la STM. Le rapport a été présenté en octobre dernier1.

Un organisme devenu trop idéologique ?

Malgré l’annulation du défilé, une marche communautaire a été organisée dans l’après-midi du 7 août. Simon Gamache a vu des images de cela plusieurs mois plus tard. « J’avoue que j’ai pleuré en voyant ça. C’est à ce moment que j’ai vraiment compris quel était mon rôle. Fierté Montréal porte plusieurs chapeaux, mais il reste que le défilé est au cœur de ce militantisme. »

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Marche communautaire organisée à la suite de l’annulation du défilé de la Fierté, le 7 août 2022

Ce n’est pas pour rien que Simon Gamache aborde ce sujet avec moi. Dans une chronique publiée au lendemain de l’annulation du défilé2, je soulignais le fait que Fierté Montréal s’était récemment dotée d’une liste de revendications (ce qui est louable), mais avait oublié de bien organiser l’évènement public qui met en lumière celles-ci.

Est-ce que Fierté Montréal serait en train d’emprunter un virage idéologique plus radical comme celui de la Pride Week de Toronto ? « Il faut savoir que dans toutes les prides, la gouvernance est très complexe, dit Simon Gamache. Elles sont constituées de militants qui passent leur année à multiplier les revendications. »

La discussion a glissé sur la présence de policiers au sein du défilé (pas ceux qui assurent la sécurité). « C’est très complexe, dit Simon Gamache. Pour certains groupes, la relation avec les policiers demeure difficile. Il faut aussi dire que pour les policiers qui voudraient participer au défilé, c’est également difficile. Je tente d’établir un dialogue de part et d’autre. »

Une meilleure gouvernance

Parmi les 13 recommandations du rapport, il y a celle de renforcer la gouvernance de l’organisme. Si Simon Gamache n’a congédié personne, quatre personnes ont récemment quitté le conseil d’administration présidé par Moe Hamandi.

L’équipe de Fierté Montréal étudie actuellement un projet de règlements généraux qui devraient rendre l’organisme plus transparent et rigoureux. On souhaite notamment augmenter le nombre de membres de l’assemblée générale (pour le moment, ils ne sont qu’une quinzaine).

« Un membership plus grand et plus diversifié favoriserait les échanges et les points de vue, pense Simon Gamache. On propose un modèle organisationnel où les membres représenteraient divers organismes et groupes, comme on retrouve dans le défilé. Ça va forcer une unité au sein des organisations. »

La prochaine édition de Fierté Montréal aura lieu du 3 au 13 août. Comme c’est le cas depuis quelques années, les évènements auront lieu au Parc olympique. Quant au défilé, il aura lieu, coûte que coûte, assure Simon Gamache. « Je vous garantis qu’il y aura un défilé cette année. S’il faut faire venir du monde du Parc olympique, on va le faire. »

1. Consultez le rapport sur l’annulation du défilé de Fierté Montréal 2. Lisez la chronique « Une erreur qui fait mal »