Les entreprises devraient-elles payer une taxe spéciale pour financer les transports en commun ?

La question, en France, a été réglée il y a un demi-siècle. Les sociétés de plus de 10 employés paient des milliards chaque année par l’entremise d’une taxe sur leur masse salariale.

Et ça se passe plutôt bien, du coup.

Ici à Paris, ce « versement mobilité » génère la moitié de tous les revenus d’Île-de-France Mobilités (IDFM), l’organisme responsable de planifier et de financer les transports collectifs. C’est plus de 7 milliards de dollars par année, qui sont réinjectés dans le fonctionnement et l’expansion du réseau.

Une fortune.

Ces investissements se voient partout. Il y a en ce moment des chantiers aux quatre coins de la capitale. Le réseau parisien, déjà l’un des plus denses au monde, va doubler de taille au cours de la prochaine décennie, avec 200 km de nouvelles lignes de métro et une soixantaine de nouvelles gares.

Rares sont les taxes dont les effets sont aussi visibles, et concrets.

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On l’a déjà oublié, avec le psychodrame autour de la SAAQ, mais Geneviève Guilbault était en Europe il y a tout juste quelques jours, en mission sur les transports en commun (1).

PHOTO FOURNIE PAR LA RÉGIE AUTONOME DES TRANSPORTS PARISIENS

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, écoute les explications de Yo Kaminagai, délégué à la Conception au département Maîtrise d’ouvrage des projets de la RATP, pendant une visite d’une ligne de tramway à Paris, le 3 mars dernier.

La ministre des Transports a été intriguée par le « versement mobilité » français. Elle m’a confié trouver « intéressante » cette idée d’une « contribution constructive » des entreprises, au moment où Québec cherche à diversifier les sources de revenus dans ce secteur.

Des propos qui ont aussitôt provoqué un déluge de réactions explosives.

C’était prévisible.

Le fardeau fiscal des sociétés québécoises est déjà trop élevé, ont jugé des experts dans les pages de La Presse, et imposer une nouvelle taxe serait « une fausse bonne idée » (2). Le Conseil du patronat et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain ont eux aussi appelé à la plus grande « prudence » (3).

Ces groupes ont raison lorsqu’ils disent que brasser des affaires au Québec coûte déjà très cher. Leur opposition à toute nouvelle taxe est compréhensible.

Le « versement mobilité » français fait d’autant plus peur qu’il est élevé. Le taux, variable en fonction de la taille des villes, atteint 2,95 % de la masse salariale dans la région parisienne. C’est beaucoup.

Je suggère quand même de prendre une bonne respiration avant d’écarter catégoriquement cette idée pour le Québec.

Il y a de la marge, comme disent les Français.

Est-ce qu’un « versement mobilité » bien plus faible qu’en France pourrait être envisagé, avec une modulation selon la taille de la ville et la disponibilité des transports en commun ?

Est-ce qu’une petite portion de ce que les entreprises versent déjà à Québec pourrait être redirigée spécifiquement vers les transports collectifs ?

Tout cela mérite d’être étudié, décortiqué.

L’idée d’une telle taxe a d’ailleurs déjà été analysée dans le cadre d’un grand chantier sur le financement des transports collectifs, réalisé en 2019 au Québec. Le rapport-synthèse cite l’exemple de l’Oregon, qui a imposé une taxe de 0,1 % sur la masse salariale, sans que les chefs d’entreprise s’immolent par le feu (4).

Selon les plus récentes prévisions, cette minuscule taxe devrait générer des revenus de 180 millions cette année en Oregon, un État de 4,2 millions d’habitants (5). Des sommes qui serviront au transport collectif. C’est considérable.

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Le « versement mobilité » est en général bien accepté en France, même si le patronat s’emballe dès qu’il est question de relever les taux, m’a souligné Laurent Probst, directeur général d’IDFM, en entrevue à Paris.

Certains le critiquent, parce que c’est un impôt de production, mais c’est une taxe qui est très bonne pour les transports en commun, parce qu’elle est dynamique : plus vous avez de croissance économique, plus vous avez besoin de transports.

Laurent Probst, directeur général d’IDFM, à propos du « versement mobilité »

Tout n’est pas parfait pour autant. Il manquera encore des centaines de millions d’euros à IDFM pour boucler son budget au cours des prochaines années, et des débats corsés sont à prévoir sur les solutions à préconiser.

Mais si la pilule du « versement mobilité » passe somme toute assez bien, c’est que le développement du système de transports en commun est fulgurant ici. Il y a quatre lignes de métro en chantier, deux autres en train d’être prolongées, des dizaines de gares en construction ou en cours de modernisation… 

Tout ça coûte cher aux entreprises, mais elles voient des résultats concrets, partout, tout le temps.

Pour qu’une telle taxe sur la masse salariale soit acceptée au Québec, et surtout à Montréal, il faudrait que le développement du réseau soit à l’avenant. Qu’on utilise une partie de ces sommes pour bonifier l’offre de service, et non pas juste éponger les déficits des sociétés de transport. Il y a du chemin à faire.

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Geneviève Guilbault aura un gros défi. Elle veut boucler d’ici la fin de l’année une entente de financement sur cinq ans avec le secteur du transport collectif, dont le manque à gagner annuel dépasse le demi-milliard en raison de la baisse d’achalandage pandémique.

Plusieurs scénarios ont déjà été évoqués ces dernières années pour diversifier les sources de revenus. Parmi ceux-ci : une taxe kilométrique, des péages ou encore une taxe sur la recharge des véhicules électriques.

La ministre Guilbault mènera des consultations dans les prochaines semaines pour alimenter sa réflexion. Rien n’est encore décidé. D’emblée, on sait que son gouvernement est très réticent envers toute forme de nouvelle taxation. L’exercice sera délicat.

Il y a déjà plus de 100 millions qui pourraient être récoltés chaque année, dès maintenant.

Pour cela, il faudrait que la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) puisse percevoir la taxe annuelle de 50 $ par véhicule dans les banlieues de Montréal, comme le lui demande la Communauté métropolitaine de Montréal depuis 2019 (6).

Impossible avant 2024, a répondu la SAAQ… en raison de problèmes informatiques.

Ça ne s’invente pas.

1. Lisez la chronique « La Presse à Paris : Geneviève Guilbault dans le métro » 2. Lisez le texte d’opinion « Une fausse bonne idée » 3. Lisez l’article « “Versement mobilité” en transport collectif : le milieu des affaires appelle Québec à la prudence » 4. Consultez le rapport-synthèse du Chantier sur le financement de la mobilité durable 5. Consultez un rapport du département des Transports de l’Oregon (en anglais) 6. Lisez l’article « Taxe sur l’immatriculation : un problème informatique à 400 millions à la SAAQ »