Nous avons été stupéfaits d’apprendre que la ministre Geneviève Guilbault avait été séduite par l’idée française de taxer les entreprises sur la base de leur masse salariale pour assurer le financement du transport collectif, tel que rapporté par le journaliste Maxime Bergeron de La Presse⁠1.

Non seulement les entreprises québécoises supportent déjà un fardeau fiscal plus important que leurs homologues françaises et canadiennes, mais cette forme de taxation va clairement à l’encontre de l’objectif de réduction du fardeau fiscal des Québécois fixé par son gouvernement.

Méconnaissance du régime fiscal québécois ?

On doit d’abord rappeler à la ministre Geneviève Guilbault que le gouvernement du Québec finance déjà ses activités sur la base d’une taxe sur la masse salariale. Prélevée depuis le début des années 1970 et mieux connue sous l’appellation abusive de la cotisation au fonds des services de santé (FSS), cette forme de taxation est devenue au fil du temps une importante source de revenus pour l’État québécois. Et pour cause : en plus d’être nettement plus agressive que dans les autres provinces où une telle taxe est en vigueur, les entreprises ne disposent d’aucune échappatoire pour réduire – voire éviter – cette charge fiscale. De fait, la quasi-totalité d’entre elles paient annuellement une cotisation au FSS, peu importe qu’elles dégagent ou non un bénéfice.

Au cours de l’exercice 2021-2022, le gouvernement du Québec a ainsi récolté 7,4 milliards de dollars grâce à la cotisation au FSS, ce qui représente approximativement 57 % de l’impôt payé par les entreprises de la province au cours de la même année.

Toutes proportions gardées, la valeur relative de la taxe sur la masse salariale prélevée au Québec était alors pratiquement identique à celle prélevée en France. En principe, le Québec ne dispose donc pas de marge de manœuvre additionnelle pour taxer la masse salariale des entreprises, d’autant plus que ces dernières supportaient un impôt sur le bénéfice plus important que leurs homologues françaises. Et même si la province disposait d’une telle marge de manœuvre, elle devrait résister à la tentation d’importer cette façon de faire de l’étranger.

Qui trop embrasse mal étreint

Si à première vue la cotisation au FSS semble être un outil fiscal efficace pour assurer la contribution des entreprises à l’effort fiscal de la province, on doit garder en tête que le point d’incidence de la fiscalité des entreprises est bien souvent différent de l’objectif visé.

Même si elles assument l’obligation du paiement des charges fiscales qui leur incombe, rien n’empêche les entreprises de refiler la facture à un tiers, que ce soit aux actionnaires par des dividendes moins généreux, aux consommateurs par des prix plus élevés, ou encore aux salariés de l’entreprise par des salaires moins importants.

En somme, ce n’est pas parce qu’on collecte des revenus auprès des entreprises qu’elles en assument ultimement la charge.

Dans le cas des taxes sur la masse salariale, l’effet a été clairement mesuré par le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers⁠2 : l’essentiel de la taxe est transféré aux travailleurs au moyen de salaires moins élevés.

En liant les données administratives de millions de travailleurs canadiens aux entreprises qui les emploient, nos analyses ont démontré que chaque point de pourcentage de taxation prélevé sur la masse salariale des entreprises réduisait la croissance des salaires de 0,47 % par année. C’est donc dire qu’au bout de cinq ans, le prélèvement de la cotisation au FSS devrait priver un travailleur québécois moyen d’approximativement 4000 $ en fait d’augmentations salariales.

Un tel constat a de quoi faire réfléchir dans un contexte où le premier ministre François Legault martèle sur toutes les tribunes qu’il souhaite ramener les revenus des Québécois au même niveau que leurs homologues ontariens.

1. Lisez la chronique de Maxime Bergeron à Paris 2. Consultez le document du Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion