À quoi ressemble la réalité selon François Legault ?

Ça dépend de la ville où il se trouve. Sa vision peut se résumer par l’équation suivante : plus il est loin de l’Assemblée nationale, plus il voit la vie en rose.

C’était flagrant en l’observant vendredi à Rivière-du-Loup.

À l’Assemblée, M. Legault est comme n’importe quel autre premier ministre : il subit les attaques des partis de l’opposition et les questions corsées des journalistes. Et quand il écoute les commissions parlementaires, il subit les critiques des experts. On cherche encore un urbaniste favorable au troisième lien routier Québec-Lévis. Et même si le lobby des PME appuie les baisses d’impôt pour les particuliers, la majorité des commentateurs les critiquent.

Quand M. Legault est au parlement, il a l’impression que tout va mal. Et il ne détecte pas beaucoup d’optimisme quand il consulte les nouvelles. Car il les lit, les écoute et les regarde, me confirme un de ses proches conseillers. Cela le distingue de Philippe Couillard, qui préférait feuilleter The Economist et laisser son entourage lui faire une revue de la presse locale, afin que l’humeur des médias ne le distraie pas de sa stratégie à long terme.

Quand M. Legault a les blues, son équipe connaît le remède : une virée sur le terrain. Le patron y voit ce que les sondages montrent : après bientôt cinq ans au pouvoir, sa cote de popularité est forte. Encore plus qu’à son élection en 2018.

Vendredi dernier, il a fait sa toute première visite dans une Maison des aînés, à Rivière-du-Loup, en plus de participer au lancement des Jeux du Québec et de se rendre au siège social de Premier Tech.

En le regardant distraitement, on croyait voir du matériel pour Infoman. Il portait des lunettes de protection, il interrompait des travailleurs avec des questions personnelles et il se permettait quelques blagues qui étaient suivies d’explications.

Mais portez attention, et vous comprendrez autre chose. Après quelques minutes de jasette, il comprenait mieux le parcours scolaire et la motivation des employés ainsi que les besoins de leur employeur. Pas inutile quand vous voulez réformer la formation professionnelle.

L’entourage de M. Legault raconte qu’à chaque retour du terrain, il cogne à la porte de son directeur de cabinet avec une feuille quadrillée remplie d’observations. C’est ainsi qu’en 2018, après s’être fait apostropher à répétition par des aînés qui peinaient à payer leurs factures, il a été convaincu de bonifier à 2000 $ la prestation de ceux qui ont un faible revenu.

Bien sûr, tout cela n’est pas très scientifique…

Avec l’escouade de la Sûreté du Québec qui l’accompagne, le premier ministre ne passe pas inaperçu. Ses rencontres ne se font pas au hasard. Ceux qui l’approchent sont surtout ceux qui l’aiment.

Et de toute façon, même si les badauds croisés par le chef caquiste étaient représentatifs de la population, cela équivaudrait à suivre l’humeur populaire. À gouverner par sondages.

On le constate avec les baisses d’impôt. Sans surprise, les citoyens en veulent. M. Legault se fie aussi à ce qu’il entend dans ses rencontres privées avec les dirigeants d’entreprise. Ce répit fiscal augmente le revenu disponible de leur employé sans qu’ils doivent hausser leur salaire.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le premier ministre François Legault a visité l’usine de fabrication de l’entreprise Premier Tech, vendredi à Rivière-du-Loup. Il était accompagné du vice-président principal développement corporatif de l’entreprise, Yves Goudreau (à gauche), et du vice-président opérations manufacturières, Sébastien Ouellet.

M. Legault avait déjà pris sa décision, mais son périple à Rivière-du-Loup l’a conforté dans son choix. Cela l’aide à tenir tête à l’Association des économistes du Québec, l’Institut du Québec et même le Conseil du patronat, qui n’y sont pas favorables.

MM. Legault et Couillard incarnent deux pôles opposés.

Le chef libéral était cartésien et semblait distant du terrain, assez pour ne pas avoir vu les réductions de services découlant de ses compressions budgétaires. Le chef caquiste, lui, est influencé par les histoires qu’il entend de vive voix.

On a beaucoup dit que par son positionnement à la fois fédéraliste et nationaliste, la Coalition avenir Québec (CAQ) avait déstabilisé ses adversaires. Elle se glisse entre les péquistes et les libéraux, dans le centre mou de l’électorat. La zone payante.

Mais au-delà de l’idéologie, j’y vois aussi une question de style. La CAQ, c’est avant tout le parti de son fondateur. Sa bonhomie l’a servi durant la pandémie, et sur le terrain, elle reste frappante.

C’est connu, le développement économique l’excite. Dans l’usine de Premier Tech, il ressemblait à un gamin au Centre Bell. Un haut dirigeant qui guidait sa visite le tutoyait allègrement. Avec MM. Landry ou Couillard, ç’aurait été inimaginable.

Cela me ramène au récent sondage Léger, dévastateur pour le Parti libéral du Québec. Comment sauver ce parti qui a lancé la Révolution tranquille ? Peut-être que la solution ne se trouvera pas seulement en réfléchissant aux valeurs et aux politiques publiques. C’est aussi une question de ton. Et la perception d’un politicien dépend toujours de la façon dont il se démarque de ses adversaires.

M. Legault sera-t-il encore là à la prochaine campagne électorale ? En interview, il a réitéré que c’était son intention, à condition d’être en santé et d’avoir encore l’« appui des Québécois ». Et pour savoir si c’est le cas, sa réponse dépendra, au moins un peu, de la ville où il se trouve.