Le vent se lève à Québec. François Legault affronte la première grande tempête de son nouveau mandat. Il s’attaque en même temps à deux fronts : les syndicats et les gestionnaires de la santé et de l’éducation.

Il veut imposer des changements dans l’organisation du travail des employés et dans la culture de gestion de leurs patrons. Selon lui, c’est pour le bien des employés eux-mêmes, des élèves et des patients. Mais les syndicats pensent le contraire, et des directions de centres de services scolaires recracheront leur café en lisant les explications de mon collègue Tommy Chouinard.

Lors de notre rencontre vendredi à l’entreprise Premier Tech de Rivière-du-Loup, en marge d’une visite de l’usine, M. Legault paraissait à la fois serein et résolu. Pour gagner le combat à venir, il dit être prêt à utiliser sa « réserve de courage ». L’expression vient de son mentor, Lucien Bouchard. Il lui a déjà confié qu’un gouvernement devait choisir ses batailles et profiter de sa popularité en début de mandat pour faire les changements difficiles.

Cela explique pourquoi M. Legault a renoncé à hausser l’âge d’admissibilité au Régime des rentes. Son « capital politique », il voulait le garder pour la tempête à venir en éducation et en santé.

En effet, elle s’annonce tumultueuse. N’empêche que pour le chef caquiste, le vent lui fera du bien. Car sa voile menaçait de se dégonfler.

En campagne électorale, son slogan « Continuons » était rassurant. Mais en début de mandat, il ressemblait à un synonyme de « pépère ». Continuer, ce n’est pas un projet vendeur quand les ratés en santé et en éducation font la manchette…

Au lendemain de leur victoire, les caquistes n’ont pas profité de la lune de miel réservée aux nouveaux gouvernements. C’était normal – ils étaient déjà au pouvoir et la plupart des ministres influents ont gardé leur poste. Mais M. Legault n’incarnait plus le changement.

Il aura une dernière chance de brandir cette étiquette. Et, surprise, ce ne sera pas avec l’affrontement qui était annoncé.

En mai dernier, M. Legault demandait un mandat électoral fort pour rapatrier du fédéral de nouveaux pouvoirs en immigration en matière de réunifications familiales.

Il ne pouvait espérer mieux. Sa domination est écrasante : 90 députés sur 125. Et pourtant, le refus prévisible d’Ottawa reste le même. L’ampleur de la victoire de M. Legault n’a rien changé non plus dans les autres négociations comme les transferts en santé.

M. Legault s’est trouvé un nouvel adversaire : les syndicats.

Quand on compare cette négociation à celle du gouvernement Couillard en 2015, la bataille paraît absurde. L’argent ne manque pas. Le problème est plutôt la pénurie de main-d’œuvre. Ou, plus précisément, l’organisation du travail – la preuve, le Québec a plus d’infirmières par habitant que la moyenne canadienne.

Pour attirer plus d’employés, M. Legault promet d’améliorer les conditions de travail des employés en santé et en éducation. Par exemple, il réduirait graduellement le recours aux agences de placement privées et le « temps supplémentaire obligatoire », et offrirait de nouvelles primes.

Cela devrait plaire aux employés. Mais cela heurte deux principes chers aux syndicats : l’équité entre les membres et la reconnaissance de l’ancienneté (les employés des agences qui reviennent au public ne voudront pas recommencer en bas de l’échelle).

Il est vrai qu’à la précédente négociation, les centrales syndicales avaient accepté d’offrir plus aux infirmières. Mais le combat est à refaire pour les indemnités qui récompenseraient les infirmières comblant les besoins urgents. Et un nouveau front s’ouvre pour les primes. Cette fois, Québec veut aider les psychologues du public. Or, l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux s’y oppose, car elle ne profitera pas de cette hausse.

Et les gestionnaires en santé ? En interview, M. Legault hésitait à dévoiler son jeu. Je décode de ses propos que le PDG de la future Agence de santé devrait avoir plus de pouvoir face aux directions d’établissement, et aussi qu’une réflexion est en cours sur les CMDP, les conseils de médecins, dentistes et pharmaciens qui supervisent la qualité et la pertinence des soins.

En éducation, des tensions semblables s’annoncent. À cause de la pénurie d’enseignants, Québec veut faciliter l’embauche de professeurs non qualifiés. « C’est une mesure temporaire », insiste M. Legault. Mais cela irrite les syndicats d’enseignants qui y voient un manque de respect pour leurs compétences.

Pour les dirigeants des centres de services scolaires, le choc sera plus brutal. Les commissions scolaires ont disparu, mais la décentralisation souhaitée vers les écoles se fait encore attendre.

Le ministre de l’Éducation se bat contre son réseau. Il n’est même pas capable d’obtenir lui-même des données simples comme le taux de redoublement.

La direction des centres de services scolaires critique ouvertement Québec et tient tête au ministre. Pourtant, contrairement aux anciens commissaires, ce sont des non-élus sans mandat populaire.

M. Legault a parlé de ce qui « s’est passé à Montréal », faisant référence au démantèlement de l’équipe volante d’orthophonistes par le centre de services scolaire de Montréal. Il voudrait carrément pouvoir remplacer la direction et la forcer à partager des données.

Décentralisation et reddition de comptes : ce sont les vieux dadas de M. Legault. Il n’a jamais réussi à les implanter. Et à en juger par sa popularité dans les sondages, il n’aura jamais de meilleure chance.

En 2018, les syndicats accusaient M. Legault de vouloir démanteler le modèle québécois. Ironiquement, il les affronte aujourd’hui en affirmant protéger les services en pérennisant la façon de les offrir.

Pour ses partisans plus à droite, il récupère une partie oubliée du discours caquiste, celui sur l’efficacité des services de l’État. Et aux centristes, il dit veiller à la qualité des soins et de l’enseignement.

C’est le grand écart de M. Legault, et la bataille de son prochain mandat. Pour la gagner, le « courage » ne suffira pas. Il faudra que tout ce beau monde trouve une façon de ramer dans la même direction. Car après tout, ils disent vouloir la même chose.