La politique, ce n’est pas seulement les grands affrontements idéologiques ou les petites phrases assassines.

Loin des projecteurs, des élus cherchent aussi à régler des problèmes concrets vécus par les citoyens. Y compris l’opposition.

Leur travail est ingrat. On leur demande d’être constructifs et de proposer des solutions, mais quand ils le font, on en prend vite note puis on passe à un autre appel. Parce que l’actualité ne ralentit pas.

Leurs misères sont connues. Les libéraux ont perdu les francophones, les solidaires peinent à plaire aux régions et aux électeurs plus âgés, et les péquistes rêvent d’une souveraineté qui paraît plus que jamais inaccessible. Mais au-delà de la joute, il faudrait aussi s’intéresser à leur travail.

Prenons donc une pause pour revenir sur leurs récentes suggestions concrètes pour s’attaquer aux frais de crédit abusifs, à l’expulsion de locataires aînés et au gaspillage alimentaire.

Dans les derniers mois, les libéraux ont fait parler d’eux pour leurs déboires. Le verdict : un parti d’élites déconnectées. Leur députée étoile Marwah Rizqy défend pourtant les gens « ordinaires », comme le prouve son projet de loi privé sur le crédit abusif. C’est déjà son troisième projet de loi déposé depuis octobre – un autre porte sur l’obsolescence programmée.

Difficile de trouver meilleur symbole de l’impuissance que notre relation avec les institutions financières. Elles n’ont pas seulement le gros bout du bâton, elles le tiennent à deux mains. Comme le rappelle la députée de Saint-Laurent, il est fréquent que les taux d’intérêt des cartes de crédit dépassent 15 %, voire 20 %.

Le gouvernement fédéral a signé une entente en 2018 avec MasterCard, Visa et American Express pour limiter leurs taux, mais ils demeurent très élevés.

Mme Rizqy voudrait les plafonner pour le long terme (prêt hypothécaire), le moyen terme (prêt auto et étudiant ou marge de crédit) et le court terme (carte de crédit).

Elle s’inspirerait de la France, où il est interdit de dépasser de plus d’un tiers le taux moyen. Résultat : pour un prêt hypothécaire de 400 000 dollars, un Français paye aujourd’hui environ 600 dollars de moins par mois qu’un Québécois.

Y aurait-il des effets pervers ? Par exemple, des banques refuseront-elles des prêts à certains citoyens ? Le gouvernement caquiste pourra le vérifier s’il ose étudier le projet de loi. Une belle façon de protéger le pouvoir d’achat sans réduire ses propres revenus.

Mme Rizqy a dû travailler à l’intérieur des compétences québécoises – les pratiques usuraires relèvent du Code criminel, qui est fédéral. Elle espère toutefois que sa démarche incitera Ottawa à resserrer le taux usuraire – le seuil actuel est de 60 %. Et nos commerçants ne devraient pas payer des frais pour Interac presque trois plus fois plus élevés qu’aux États-Unis.

À en juger par les sondages et par des éléments de son programme, Québec solidaire peut parfois paraître un peu déconnecté des préoccupations quotidiennes des électeurs. Pourtant, c’est lui qui a défendu une idée fondamentale dans le débat : avant d’être un outil d’investissement, un logement est un besoin essentiel auquel tous devraient avoir droit.

On le sait, la pauvreté est particulièrement présente chez les aînés. En 2016, Françoise David avait réussi un rare exploit : faire adopter à l’unanimité un projet de loi de l’opposition. Habituellement, ils ne sont même pas étudiés.

Grâce à elle, les locataires à faible revenu de 70 ans et plus ne peuvent pas être expulsés de leur logement s’ils l’habitent depuis plus de 10 ans. Ces critères découlaient d’un compromis pour rallier tous les élus.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La députée solidaire de Sherbrooke, Christine Labrie

Avec la crise du logement, le parti de gauche estime que la loi doit être renforcée. Sa députée Christine Labrie veut l’appliquer désormais aux aînés de 65 ans et plus qui occupent un logement depuis cinq ans. Elle veut également élargir le revenu permettant d’être couvert par la loi (jusqu’à 150 % du revenu maximal rendant admissible au logement social, contre 100 % en ce moment).

Des propriétaires hésiteront-ils à louer aux aînés ? Difficile de prévoir les impacts sur l’offre de logement. La loi actuelle n’est pas assez bien connue. Des aînés ne l’invoquent malheureusement pas.

Un professeur de droit à l’UQAM, Martin Gallié, vient de déposer un rapport sur la jurisprudence de cette loi. Voilà le genre d’intervenant qu’on aimerait entendre en commission parlementaire.

Un peu comme les libéraux, les solidaires veulent s’attaquer aux grandes entreprises qui s’enrichissent en imposant des frais déraisonnables. Ils reviennent à la charge avec un projet de loi pour plafonner la facture des services de livraison comme Uber Eats et DoorDash. Durant la pandémie, le gouvernement caquiste avait limité ces frais à 20 %. Il s’agissait toutefois d’une mesure d’urgence qui n’a pas été reconduite.

Ces plateformes sont utiles, mais en l’absence d’une véritable compétition, nos restaurateurs sont prisonniers d’un système qui siphonne leurs fragiles revenus.

Les péquistes ont été les grandes victimes de notre mode de scrutin. Avec leurs trois députés et leur maigre budget parlementaire, ils n’ont pas les moyens de couvrir adéquatement tous les sujets. N’empêche qu’ils ont réussi à ramener à l’ordre du jour le sujet du gaspillage alimentaire.

En décembre, la COP15 sur la biodiversité se donnait pour cible de réduire de 50 % ce gaspillage. Ça ne se fera pas seulement en misant sur les initiatives individuelles. Pour les épiciers, les incitatifs manquent.

Les péquistes travaillent sur un projet de loi pour interdire aux « géants » de jeter leurs denrées encore comestibles. Ils seraient obligés de les revaloriser ou de les envoyer à des banques alimentaires.

Cette belle intention devra se traduire par des moyens adéquats. Par exemple, il faudra s’assurer que le milieu communautaire aura les ressources pour recevoir cette nourriture. Mais au minimum, voilà un problème qui mérite qu’on s’y attarde.

Voilà une autre preuve que si on accuse les partis de l’opposition de se perdre dans les shows de boucane, c’est aussi parce qu’on a de la difficulté à regarder ailleurs quand il y a de la fumée.