D’importants changements sont à venir dans la gouvernance et la gestion des deux plus gros réseaux publics, la santé et l’éducation. En entrevue avec La Presse, le premier ministre François Legault a expliqué vouloir donner à Québec le pouvoir d’intervenir davantage, sans « tout centraliser », au cours de son deuxième mandat.

(Rivière-du-Loup) Surprise en ce début de deuxième mandat du gouvernement Legault : Québec entend se donner plus de pouvoirs dans la gestion du réseau scolaire, insatisfait de décisions prises par les centres de services scolaires. Il veut nommer – et au besoin limoger – leurs directeurs généraux comme il le fait avec les PDG de CISSS et de CIUSSS.

Le réseau de la santé est lui aussi touché par le plan du gouvernement visant à « améliorer l’efficacité de l’État ». Les médecins gestionnaires dans les hôpitaux perdront une partie de leurs pouvoirs au profit des PDG et des directeurs généraux. Et les conseils d’administration des CISSS et des CIUSSS sont au centre d’une remise en question majeure.

Dans une entrevue accordée à La Presse en marge d’une tournée à Rivière-du-Loup vendredi, le premier ministre François Legault a mis la table à d’importants changements dans la gouvernance et la gestion des deux plus gros réseaux de l’État.

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Le premier ministre François Legault en entrevue avec les journalistes de La Presse Paul Journet et Tommy Chouinard, vendredi

Il est conscient que l’opération fera des mécontents. Mais en ce début de deuxième mandat, avec des sondages toujours aussi favorables, c’est le moment pour lui d’ébranler les colonnes du temple. Quitte à heurter des lobbys. Quitte à entamer son capital de sympathie.

« Ma réserve de courage va être beaucoup [utilisée] pour améliorer l’efficacité de l’État », a-t-il lancé, reprenant une expression employée par Lucien Bouchard lors de son mandat de premier ministre.

Il l’a démontré récemment quand il a attaqué de front les syndicats pour obtenir plus de « flexibilité » dans les conventions collectives – « On s’embarque dans des négociations qui ne seront pas faciles », a-t-il noté. Il puisera encore dans sa réserve de courage pour mener une révision de la gouvernance des réseaux de l’éducation et de la santé.

On aurait tort de penser qu’il s’agit d’un brassage de structures qui aura somme toute peu d’impact sur le terrain. Car c’est précisément des problèmes dans la prestation des services à la population qui poussent François Legault à changer la gouvernance. Il y a aussi, parfois, un problème de cohérence entre les orientations du gouvernement et les décisions prises sur le terrain.

« Le plein pouvoir de choisir »

Dans les centres de services scolaires, a souligné le premier ministre, « il y a des choses qui sont faites [par les directeurs généraux] avec l’accord du conseil d’administration qui ne font pas nécessairement notre affaire ». « On l’a vu à Montréal », a-t-il ajouté, sans entrer dans les détails. « On l’a vu au Saguenay–Lac-Saint-Jean », a-t-il ajouté, faisant allusion à la décision du centre de services scolaire du Pays-des-Bleuets de fermer la moitié de ses classes de maternelle 4 ans.

Lors de son premier mandat, le gouvernement Legault a aboli les élections scolaires et a transformé les commissions scolaires en centres de services. C’était la réforme pilotée par le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. Mais il y a encore des améliorations à apporter dans la gestion du réseau, selon François Legault.

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François Legault va puiser dans sa « réserve de courage » pour mener une révision de la gouvernance des réseaux de l’éducation et de la santé.

« Ce n’est pas vraiment nous qui avons le plein pouvoir de choisir ou ne pas choisir les directeurs généraux des centres de services et d’exiger des informations des centres de services », a expliqué le premier ministre.

Il veut que les directeurs généraux soient nommés par le ministre et qu’ils lui rendent des comptes. « Comme [c’est le cas pour] les PDG des CISSS et des CIUSSS », a-t-il mentionné. « Avec Christian Dubé et [avant lui] Danielle McCann, on a changé des PDG de CISSS et de CIUSSS à notre demande. On n’a pas ce pouvoir-là sur les directeurs généraux des centres de services », a-t-il déploré. La situation va changer. Et les conseils d’administration perdront du pouvoir.

« Et là, il faut trouver un équilibre », a ajouté le premier ministre, se défendant de vouloir « tout centraliser ».

Il faut qu’il y ait des décisions qui restent décentralisées, mais il faut quand même avoir le pouvoir d’agir quand ça ne fonctionne pas.

François Legault, premier ministre du Québec

« Je pense que la majorité du temps, les décisions locales sont les plus appropriées pour les enfants, et c’est [les gens sur place] qui connaissent le plus ce qui est mieux pour les enfants. Par contre, il arrive des moments où il y a des décisions prises qui ne sont pas les meilleures. Et là, Québec doit être capable d’intervenir davantage que ce qu’on a actuellement. »

Accès à l’information

L’une des grandes sources de frustration à Québec, c’est l’incapacité d’obtenir des données sur la performance du réseau, l’efficacité des services, voire un portrait précis de la réussite des élèves. De nombreux reportages ont démontré au cours des dernières semaines l’absence de statistiques au Ministère sur plusieurs sujets pourtant fondamentaux.

« Il reste du travail à faire pour être capable d’avoir accès à l’information dans tous les centres de services. Ce n’est pas une question de centraliser, c’est d’avoir accès à l’information pour être capable d’évaluer qui va bien et qui va moins bien », a expliqué François Legault.

On veut être capable d’agir quand il y a un problème d’efficacité. Il faut avoir accès à l’information. Donc, le directeur général, quand on lui demande de l’information, [il faut] qu’il soit obligé de la donner.

François Legault, premier ministre du Québec

À l’époque où les commissaires étaient des élus, « c’était normal qu’ils disent : “C’est moi qui suis responsable, pas Québec” ». Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas avec les centres de services scolaires, et « il y a encore des pouvoirs à aller chercher pour avoir, entre autres, plus d’informations », a-t-il soutenu.

Comme le ministre a des comptes à rendre à la population, il doit obtenir des pouvoirs en conséquence pour s’assurer du bon fonctionnement du réseau, a expliqué François Legault en substance. D’autant que le ministre est interpellé constamment sur les décisions prises par des centres de services scolaires, peu présents sur la place publique pour les justifier. « On n’en a pas vu beaucoup » aller au bâton, a affirmé le premier ministre.

Bernard Drainville prépare un plan qui sera dévoilé « bientôt ». Tout porte à croire qu’un projet de loi sera déposé à l’Assemblée nationale au cours des prochains mois.

Changement de structure en santé

Dans deux semaines, le ministre de la Santé, Christian Dubé, déposera son projet de loi pour créer Santé Québec, une agence dirigée par un PDG qui coordonnera les opérations du système. « Ce sera un Hydro-Santé », a illustré M. Legault. Le Ministère se concentrera sur la définition des orientations, la planification budgétaire et la mesure de la performance.

Or, ce changement de structure aura des effets plus importants que prévu. Québec va redéfinir de façon majeure les rôles et les pouvoirs de tous les paliers du réseau de la santé. « Et peut-être réduire le nombre de paliers », a mentionné François Legault. Car le gouvernement veut « avoir accès plus rapidement à chaque établissement ».

Les conseils d’administration des CISSS et des CIUSSS sont au centre d’une remise en question. Mais « il y a toujours un avantage à avoir des gens locaux qui connaissent leurs particularités qui viennent intervenir », a nuancé François Legault.

Le PDG de Santé Québec fera affaire « directement » avec les PDG des CISSS et des CIUSSS. Il aura donc des pouvoirs importants sur eux. Le rôle des conseils d’administration est ainsi reconsidéré.

Il y aura également des changements dans la gestion des hôpitaux. « Il faut que l’organisation du travail des spécialistes soit plus efficace. Christian [Dubé] parle déjà avec la FMSQ », la Fédération des médecins spécialistes du Québec.

Les médecins gestionnaires perdront une partie de leurs pouvoirs, selon ses explications. Le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) d’un hôpital « décide pas mal ce que font [les professionnels] ou comment on organise le travail des médecins ». Et la direction générale « n’a pas beaucoup, parfois, de mot à dire sur ce que fait le CMDP ». Il doit en avoir davantage, selon M. Legault.

« C’est délicat, négocier avec la FMSQ. Il faut en prendre et en laisser, être capable de trouver un équilibre. C’est ce que Christian [Dubé] essaie de faire avec la FMSQ », a-t-il ajouté, donnant l’impression de marcher sur des œufs.

Le premier ministre s’est d’ailleurs empressé d’ajouter que les médecins spécialistes ont raison de dire que la pénurie de personnel explique en bonne partie les difficultés pour augmenter le volume des opérations chirurgicales.

« L’intention, a-t-il plaidé, c’est que nos PDG soient imputables et qu’ils aient les pouvoirs en conséquence. Parce que tu ne peux pas être imputable si tu n’as pas les pouvoirs. »

Tournée régionale d’un jour

Protection des berges, économie régionale et emplois, soins aux aînés et sport, les sujets ne manquaient pas lors de la visite de François Legault dans la région de Rivière-du-Loup. La Presse a accompagné le premier ministre sur le terrain.

« Un premier pas » pour contrer l’érosion des berges

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Conférence de presse du premier ministre François Legault sur la protection des berges, à Notre-Dame-du-Portage

François Legault a annoncé l’attribution de près de 70 millions de dollars à des municipalités de l’est du Québec pour lutter contre l’érosion des berges et la submersion des côtes. Une partie, 9,4 millions, sera accordée à Notre-Dame-du-Portage, où s’est tenue l’annonce. Pour M. Legault, c’est « un premier pas » pour réaliser sa promesse électorale : 100 millions supplémentaires pour aider les municipalités à lutter contre l’érosion des berges.

Il avait pris cet engagement après avoir constaté les dommages causés par l’ouragan Fiona aux Îles-de-la-Madeleine. « On se rappelle tous ce qui s’est passé aux Îles, mais les dégâts avaient été limités à certains endroits à cause des travaux [d’enrochement] qui avaient été faits », a rappelé M. Legault vendredi à Notre-Dame-du-Portage. « On doit faire des ouvrages pour protéger des bâtiments et des routes, a-t-il ajouté. Ici, pour l’instant, on n’a pas besoin de déplacer des bâtiments, mais à certains endroits, on va malheureusement être obligés d’en déplacer. »

Pour le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, « il y a urgence d’agir ». « Selon les scientifiques, on voit un englacement plus tardif, le niveau de la mer va augmenter dans les prochaines décennies et les tempêtes sont plus fortes. […] Un dollar investi, c’est sept à dix dollars de biens qu’on va sauvegarder. »

« Eux autres, ils sont d’accord avec les baisses d’impôt »

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François Legault participe à un dîner avec des élus municipaux et des chefs d’entreprise de la région de Rivière-du-Loup.

François Legault a eu un dîner avec des élus municipaux et des chefs d’entreprise de la région de Rivière-du-Loup. Alors que la pandémie de COVID-19 a frappé le Québec il y a maintenant trois ans, il a salué le travail des MRC, qui ont géré des enveloppes financières remises par Québec pour venir en aide aux petites et moyennes entreprises touchées par les mesures sanitaires. « J’aime ça, aller sur le terrain, comme ce midi, rencontrer des maires et des entrepreneurs. Quand tu es à Québec avec les oppositions, c’est comme si tout était négatif et on dirait que tout va mal. Eux autres, ils sont d’accord avec les baisses d’impôt », a souligné François Legault, assurant qu’il respectera intégralement sa promesse dans le budget du 21 mars.

Dans la région, des MRC ont d’importants projets de parcs éoliens. Mais comme les lignes de transport d’Hydro-Québec sont saturées ici, « je leur expliquais que les prochains projets éoliens ne seront peut-être pas ici à court terme. Mais à moyen terme, on va augmenter la capacité de transport », a-t-il affirmé.

Une entreprise centenaire qui innove

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Le premier ministre visite les installations de Premier Tech, à Rivière-du-Loup.

François Legault a fait la visite du manufacturier Premier Tech, qui célèbre ses 100 ans. L’entreprise de Rivière-du-Loup, qui exploitait au départ des tourbières, est devenue une multinationale spécialisée dans la commercialisation de produits pour l’agriculture et l’horticulture, dans le développement de systèmes automatisés pour manufacturiers et de technologies environnementales.

En 2020, Québec a affecté 45 millions de dollars, sur les 250 millions prévus dans son plan quinquennal, à la consolidation de ses 1000 emplois ici et à la création de 500 autres. Un centre d’innovation manufacturière est en construction sur le terrain voisin de Premier Tech – dont il est l’un des partenaires avec Cascades, le Fonds de solidarité FTQ et Desjardins notamment. Québec et Ottawa ont accordé respectivement 13,4 millions et 9,4 millions à ce projet l’an dernier.

Première visite de Legault dans une maison des aînés

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François Legault a inauguré la maison des aînés de Rivière-du-Loup, vendredi.

François Legault a participé à l’inauguration officielle de la maison des aînés de Rivière-du-Loup. C’était sa première visite dans un tel établissement, promesse phare de son parti. L’ouverture des 120 places (96 pour des aînés et 24 pour des adultes lourdement handicapés) était prévue l’automne dernier, mais, comme pour d’autres maisons des aînés, il y a eu un report notamment en raison de la pénurie de main-d’œuvre.

Les premiers résidants ont été accueillis fin février : il s’agit des 65 personnes hébergées jusqu’alors au CHSLD Saint-Joseph, qui sera fermé et dont le sort est inconnu pour le moment. Une partie des places de cette maison des aînés sera disponible cet été alors qu’une autre est prévue plus tard, d’ici la fin de l’année. Il manque une centaine d’employés, et il n’est pas question de fragiliser d’autres installations de la région, a expliqué la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger.

Ce projet a coûté 81 millions de dollars, alors que l’on estimait la facture à 60 millions au moment de son annonce en 2020. Les 46 maisons des aînés représentent aux dernières nouvelles un investissement de 2,8 milliards – presque deux fois plus que ce qui était prévu en 2020. « Je ne suis pas gêné d’offrir aux aînés ce qu’il y a de mieux », a dit M. Legault.

Enfin, les Jeux du Québec à Rivière-du-Loup

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Le premier ministre François Legault a pris un bain de foule en fin de journée à l’école secondaire de Rivière-du-Loup lors d’une rencontre avec de jeunes athlètes participant à la 56e finale des Jeux du Québec.

Les organisateurs de la 56finale des Jeux du Québec n’ont pas eu la partie facile. L’évènement sportif était initialement prévu en 2021, mais il avait dû être reporté en raison de la pandémie de COVID-19. En 2022, le variant Omicron avait forcé un nouveau report d’un an. Cette fois, c’est la bonne. Quelque 3300 jeunes athlètes de 20 disciplines représentent l’ensemble des régions du Québec. La finale se déroule jusqu’au 11 mars. François Legault a pris part aux célébrations d’ouverture de l’évènement.