Que faut-il faire avec le chemin Roxham ?

À cette vraie question, le Bloc québécois vient de répondre par un slogan publicitaire que ne renierait pas le Front national : « Le Québec n’est pas un tout inclus. »

Comme un cri de ralliement subtil à tous les xénophobes.

Pendant ce temps, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, veut nous faire croire qu’en envoyant la Sûreté du Québec avec de la broche à poule et des dépliants, on va régler le problème.

Une certaine mouvance nationaliste conservatrice (maintenant majoritaire au PQ et au Bloc) s’excite tellement autour du chemin Roxham, c’est à croire qu’il a quelque chose de providentiel. L’idée n’est pas de trouver une solution intelligente, qui n’est pas simple, mais d’en tirer le maximum de profit politique. Et de se montrer plus « nationaliste » que la CAQ. Tant pis si c’est sur le dos de migrants. Tant pis si on les présente comme des profiteurs, pour ne pas dire des grands-remplaceurs…

Un « tout inclus » ? Sérieux ?

Vous croyez que les gens qui fuient la misère, que ces mères qui ont traversé l’Amérique à pied avec leurs enfants, qui s’entassent dans des YMCA en attendant un logement s’en viennent en vacances au Québec ?

Avec presque 40 000 passages en 2022, l’entrée au Canada du chemin Roxham n’est pas tenable. Le système d’accueil craque, les demandes d’asile ne sont pas traitées à temps, les exploiteurs pullulent.

Suzanne Colpron décrivait hier dans nos pages le business de ceux qui font la navette entre Plattsburgh et le chemin Roxham pour des migrants venus d’Amérique latine, d’Afghanistan ou d’Haïti.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Tyler Tambini, qui figure dans notre reportage publié samedi, a troqué son métier de couvreur pour celui de « passeur ».

Cette vieille route était déjà utilisée par des Afro-Américains qui fuyaient l’esclavage en marchant vers le Nord. Elle a acquis une notoriété internationale pendant les années Trump, quand Justin Trudeau, pour faire contraste, a vanté la générosité du Canada envers les demandeurs d’asile.

Le chemin est devenu pour beaucoup la route de contournement du système d’immigration canadien. Tous ceux qui franchissent la frontière ne sont pas des réfugiés au sens de la loi. Un « réfugié » est une personne persécutée dans son pays – pour des motifs politiques, religieux, etc. La loi canadienne, inspirée des conventions internationales sur le droit humanitaire, accorde la citoyenneté aux personnes ayant fui la persécution.

C’est une exception au système de sélection des immigrants, qui est somme toute exigeant.

La pauvreté, même la pauvreté extrême, ne permet pas de se qualifier comme « réfugié » au sens de la loi.

Mais même s’il ne se qualifie pas au sens de la loi comme réfugié, même si c’est « seulement » pour espérer une vie meilleure, un migrant n’est pas pour autant un « profiteur » qu’on peut se permettre de comparer à un vacancier qui exploite le contribuable. Bien sûr que des gens usent et abusent du système canadien. Bien sûr que le chemin est célèbre dans le monde.

Mais ces migrants qui arrivent du Venezuela, d’Haïti, du Nigeria fuient, quand ils ne fuient pas la persécution ou la guerre, fuient souvent la misère. En disant « le Québec n’est pas un tout inclus », ce ne sont pas les politiques qu’on vise : c’est eux qu’on désigne au mépris national.

La ministre québécoise de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, a dit la vérité : si on ferme tout simplement Roxham, on déplace le problème et on met probablement des gens en danger.

Le mot d’ordre du gouvernement Legault est cependant de « fermer Roxham », alors elle a corrigé sa déclaration. Mais François Legault le sait : ça ne se réglera pas avec une clôture Frost. Surtout quand on sait que des employés du gouvernement américain dirigent les demandeurs vers Roxham.

La pression du Sud se transfère vers le Nord.

Si l’on veut que les choses se fassent de manière un peu ordonnée, il va falloir le faire avec la collaboration américaine. Quitte à revoir l’accord sur les tiers pays sûrs – pourtant, déjà, en vertu de cette entente, un demandeur d’asile est tenu de faire sa demande dans le premier pays, avant de tenter de rallier le Canada par la voie terrestre. Ce n’est pas simple, entre autres parce que Washington n’a pas vraiment intérêt à fermer la valve du nord.

Mais même quand on aura jugulé le flot migratoire de ce chemin sur lequel on focalise toute notre attention, l’arrivée des migrants ne s’arrêtera pas par magie, ou avec des dépliants. C’est un des grands défis de l’humanité pour ce siècle.

Les pays développés ne peuvent pas soulager toute la misère du monde. Mais nous avons non seulement un devoir et des engagements humanitaires : nous avons aussi un grand bénéfice à tirer de l’accueil des réfugiés.

Le moins que les politiques puissent faire, si vraiment ils sont du côté des solutions intelligentes à ce vrai problème, c’est de ne pas attiser le mépris. De ne pas jouer de la frontière pour faire peur aux gens, comme on le fait dans certains États américains ou européens.

Lisez « 24 heures avec un “passeur” »