La Ville de New York offre des billets d’autocar gratuits aux demandeurs d’asile qui souhaitent quitter la mégapole, incluant vers Plattsburgh, à 45 km du célèbre chemin Roxham.

La nouvelle, publiée le lundi 6 février dans le tabloïd New York Post, a créé une onde de choc au Québec.

« C’est étonnant », a réagi la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, en marge d’une conférence de presse sur une aide d’urgence aux organismes communautaires québécois qui soutiennent les migrants.

« Je questionne la pertinence, si tel est le cas, que le gouvernement octroie, comme ça, des billets, paye des tickets, pour venir se rapprocher du Canada, a-t-elle déclaré. Mais ça démontre surtout l’importance qu’il y a de régler le problème du chemin Roxham, de régler l’Entente sur les tiers pays sûrs. »

Mme Fréchette a dit souhaiter que cette Entente sur les tiers pays sûrs, en renégociation depuis des années, « s’applique à l’ensemble de la frontière », incluant le chemin Roxham, près de Saint-Bernard-de-Lacolle, où 39 171 demandeurs d’asile ont été interceptés en 2022. Un record absolu.

« Je pense que ça fait valoir l’urgence de la situation de manière encore plus criante », a ajouté la ministre.

« Les Américains doivent se bidonner »

Le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe a été stupéfait d’apprendre l’existence du stratagème.

« Les Américains doivent se bidonner quand ils entendent le Canada dire qu’il négocie pour moderniser l’Entente sur les tiers pays sûrs. À quel point ils doivent rire quand on se demande pourquoi les négociations traînent depuis six ans », a-t-il raillé en Chambre.

Ainsi est-il urgent de suspendre unilatéralement l’accord bilatéral, a-t-il insisté auprès du gouvernement, dont le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, a récemment affirmé que l’épineux dossier ne se réglerait pas lors de la visite de Joe Biden au Canada, en mars prochain.

« Je pense qu’il faut se servir de cette visite pour changer de direction », a soutenu Alexandre Boulerice, chef adjoint néo-démocrate, qui voit en ces nouvelles informations une démonstration que l’entente avec les États-Unis « ne fonctionne pas, qu’elle est bancale, qu’il y a une faille ».

Le Parti conservateur exhorte aussi les libéraux à agir rapidement. Il est « plus que temps », parce que « les migrants sont les victimes de la faiblesse du gouvernement de Justin Trudeau », a fait valoir le député Pierre Paul-Hus dans une déclaration écrite.

« Nous sommes au courant des rapports concernant les compagnies d’autobus aux États-Unis qui emmènent les migrants vers des points d’entrée irréguliers le long de la frontière […], et nous travaillons avec des partenaires pour évaluer la validité de ces informations », a-t-on indiqué lundi au bureau du ministre Fraser.

Des nuances

La nouvelle du New York Post doit cependant être nuancée.

La Ville de New York offre en effet des billets d’autocar gratuits aux migrants qui veulent quitter son territoire, mais rien ne permet de croire qu’elle les incite à se rendre au Canada en passant par le chemin Roxham.

Notre objectif est d’aider les demandeurs d’asile qui souhaitent se déplacer vers un autre endroit, pour rejoindre des amis et des membres de leur famille ou de leur communauté.

La porte-parole de la Ville de New York, Kate Smart, en réponse aux questions de La Presse

« Si nécessaire », la Ville va fournir un billet d’autocar pour aider les gens à se rendre à « leur destination finale », a-t-elle ajouté. Cette destination finale « peut inclure Plattsburgh », près de la frontière canadienne et du chemin Roxham, ou « d’autres villes ».

Il faut dire que New York est aux prises avec un afflux de demandeurs d’asile sans précédent depuis que le gouverneur républicain de l’État du Texas, Greg Abbott, a fait transporter des migrants par autocars vers les bastions démocrates du pays, pour dénoncer la politique du président Biden.

New York a été très affecté par cette offensive. Assez pour que le maire de cette métropole, Eric Adams, ait déclaré, en décembre, que sa ville approchait de son « point de rupture ».

L’argent des contribuables

Le New York Post affirme de son côté que les migrants abandonnent la ville de New York pour se rendre au Canada « avec des billets de bus financés par les contribuables » américains.

« Des soldats de la Garde nationale distribuent des billets au terminal d’autocars de l’autorité portuaire de Manhattan aux migrants qui souhaitent se diriger vers le nord de l’État avant de traverser au Canada », écrit le tabloïd, citant un Vénézuélien qui a pris l’autocar avec sa famille pour se rendre à Plattsburgh. « L’armée m’a donné, à moi et à ma famille, des billets d’autocar gratuits, a déclaré ce migrant. Je vais au Canada pour une meilleure qualité de vie pour ma famille. »

Le quotidien s’est rendu à Plattsburgh, où il dit avoir constaté que « des migrants déchirent régulièrement leurs documents d’immigration américains lorsqu’ils voyagent de Plattsburgh à la frontière canadienne ».

En vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs, en vigueur depuis 2004, les demandeurs d’asile doivent présenter leur demande dans le premier pays sûr où ils arrivent, les États-Unis ou le Canada, pour éviter « le magasinage » de pays, hormis quelques exceptions. Le chemin Roxham échappe à cette entente.

Lisez « Chemin Roxham : Fraser doute qu’une entente soit annoncée lors de la visite de Joe Biden »

Québec débloque 3,5 millions pour les migrants

Le cri du cœur lancé il y a 10 jours par le milieu communautaire montréalais a été entendu : Québec a annoncé lundi une aide d’urgence de 3,5 millions pour soutenir les demandeurs d’asile. De cette somme, 3 millions proviennent du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale et seront gérés par Centraide du Grand Montréal pour aider 22 organismes communautaires. Le demi-million supplémentaire est issu du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) et vise 12 organismes. Québec compte refiler la facture à Ottawa. « L’ensemble des montants qui sont investis, incluant les montants qui sont annoncés aujourd’hui, font partie de la demande de remboursement de l’ensemble des dépenses générées par cet afflux de demandeurs d’asile arrivés de manière irrégulière », a précisé la ministre du MIFI, Christiane Fréchette, en conférence de presse. Cette aide a été accueillie avec « soulagement et satisfaction » par les groupes communautaires. « Il y aura une deuxième ronde, à tête reposée », a assuré Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).

Lisez « Québec débloque 3,5 millions pour soutenir les migrants »