La tique à pattes noires, par laquelle la maladie de Lyme se transmet à l’humain, risque de s’établir dans la majeure partie du territoire québécois habité, montrent les nouvelles projections de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Gros plan en cinq questions qui nous démangent.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Si le climat québécois de 2080 évolue selon un scénario élevé*, la tique à pattes noires (Ixodes scapularis) sera présente à l’année dans presque toute la Gaspésie, sur toute l’île d’Anticosti et jusqu’au village cri de Waskaganish près de la baie James, montre la carte publiée cette semaine par l’INSPQ. Un territoire autrement plus vaste qu’à l’heure actuelle⁠1.

* Hausse de 4 à 8 °C dans le Nord et de 4 à 6 °C dans le Sud par rapport à la période 1991-2020⁠2

Pourquoi produire une telle carte ?

« Ce qui est super intéressant avec le fait de cartographier l’aire de la tique Ixodes scapularis, c’est que ça permet d’avoir un signal précoce de l’emplacement où toutes les maladies qu’elle peut transmettre pourraient éventuellement se retrouver », explique Danaelle Page, conseillère scientifique de l’équipe Maladies infectieuses en communauté de l’INSPQ.

Les cartes illustrent les zones de température favorable, mais « pour qu’une tique s’établisse dans un environnement, il faut aussi d’autres facteurs », rappelle Mme Page en évoquant les hôtes animaliers que sont les rongeurs et les cerfs. « En l’absence de ça, même si la température est favorable, ça ne veut pas dire qu’il va y avoir établissement. »

Ce scénario n’est-il pas exagéré ?

« Il n’y a pas un chercheur en entomologie qui a fait le saut en voyant ces cartes », témoigne Jade Savage, professeure de l’Université Bishop’s et chercheuse principale d’eTick, dont les données ont été utilisées par l’INSPQ, en combinaison avec celles d’Ouranos.

PHOTO FOURNIE PAR JADE SAVAGE

L’entomologiste Jade Savage, professeure à l’Université Bishop’s et chercheuse principale de la plateforme eTick

« Une des raisons pour lesquelles on doit vraiment faire une surveillance serrée des populations de tiques, c’est que leur distribution change très vite », dit Mme Savage, elle-même entomologiste. Arrivée au Québec « il n’y a même pas 30 ans », la tique à pattes noires a étendu son territoire « de façon spectaculaire » et « il n’y a pas de raison de croire qu’elle ne va pas suivre les changements climatiques dès qu’elle va le pouvoir ».

Serons-nous submergés par la maladie de Lyme ?

La carte « n’est vraiment pas un indicateur d’où il y a de la maladie de Lyme en ce moment, mais d’où il faut se préparer à ce qu’éventuellement on risque d’avoir [des cas de] maladie de Lyme et probablement d’autres pathogènes », précise Mme Page.

La carte du risque actuel est beaucoup plus clairsemée⁠1. Et selon les données de surveillance de 2023 pour l’ensemble du Québec, seule une tique sur trois serait porteuse de la bactérie responsable de la maladie de Lyme. « Il ne faut pas s’affoler, mais il faut quand même prendre conscience que les tiques sont présentes et qu’elles sont là pour de bon, donc qu’il faut adapter nos habitudes de vie. »

Alors comment s’adapter ?

« C’est d’éviter en premier lieu de se faire mordre. C’est une bonne chose de vérifier, après une balade [ou être allé] dans son jardin, de s’assurer qu’on n’a pas de tique et de vérifier ses enfants. Si on la retire tôt, il y a beaucoup moins de risques d’avoir des problèmes », souligne Christophe Augé, pharmacien à Ascot Corner, en Estrie, qui a formé de nombreux collègues à la prophylaxie post-exposition à une piqûre de tique (PPE)⁠2. Les pharmaciens peuvent prescrire cette PPE antibiotique en exerçant leur jugement professionnel, qui tient notamment compte du secteur où la personne a été piquée. « On le sait très bien que ça va aller en s’étendant à cause des changements climatiques. C’est clair qu’on n’a pas fini d’en parler. »

Les nymphes, beaucoup plus petites que les adultes, peuvent passer inaperçues, signale l’entomologiste Jade Savage. « Donc il est important de rester vigilant toute l’année, dès que les températures sont au-dessus de 4 °C. »

Que faire de plus ?

« Pour l’instant, on se concentre sur la tique Ixodes scapularis, qui transmet la maladie de Lyme, l’anaplasmose et, plus rarement, la babésiose et autres », indique le DAlex Carignan, titulaire de la Chaire de recherche sur la maladie de Lyme et les infections émergentes, qui démarrera en juillet à l’Université de Sherbrooke⁠3. Mais « on veut rapidement élargir à l’ensemble des espèces de tiques connues comme étant pathogènes », dont la tique étoilée (Amblyomma americanum), présente dans le sud-est américain, qu’on « s’attend à voir arriver d’ici quelques années ». La Chaire veut former des chercheurs et des professionnels de la santé et récolter des échantillons cliniques de Québécois piqués par une tique. La plateforme eTick, où les particuliers peuvent envoyer une photo de tique pour la faire identifier, aidera à recruter des participants de l’Estrie et de la Montérégie⁠4. Des travaux sur l’efficacité de la PPE, des tests diagnostiques et des vaccins actuellement en développement sont aussi prévus.

1. Consultez la carte du risque actuel d’acquisition de la maladie de Lyme au Québec 2. Lisez les mesures de prévention de la maladie de Lyme 3. Visitez le site web de la Chaire de recherche sur la maladie de Lyme et les infections émergentes 4. Visitez le site web d’eTick Voyez la répartition actuelle des tiques à pattes noires au Québec Consultez la projection des hausses de température d’ici 2100