Par un matin récent, je suis sorti de la maison et tout était mouillé. Il avait plu toute la nuit, toc-toc sur le toit de tôle, elle venait de cesser. Le temps était gris, l’air, humide. Le portrait n’était pas le portrait typique du printemps. Pourtant, ça ne pouvait pas plus être le printemps.

Sur les trottoirs, sur les bords de rue, le pollen des arbres rappelait une mince couche de neige verte, et les tulipes des plates-bandes des voisins étaient pleinement épanouies.

Ce matin-là, en allant chercher du café, c’était comme marcher dans le poème de Miron1, dans « la douceur du fond des brises au mois de mai ».

Voici une opinion tranchée (ce sera la seule que vous lirez dans cette chronique, je suis férié d’opinion) : je n’aime aucune saison comme j’aime le printemps, je n’aime aucun mois comme j’aime le mois de mai.

Et j’ai oublié de vous dire que ce matin-là, c’est tout le quartier qui embaumait le lilas (j’imagine, non, j’espère que c’est la même chose par chez vous). On dirait d’ailleurs que toute la ville sent le lilas.

Depuis ce matin-là, je le remarque tout le temps et j’en profite, car, comme on dit, ça ne durera que le temps des fleurs : ça sent le lilas partout.

Tenez, tantôt, je revenais vers la maison en BIXI et ça sentait le lilas, partout, le long de Laurier. Devant le parc Laurier, ça ne sentait plus le lilas, mais on était dans un autre volet horticole : ça sentait le pot.

Je n’aime donc aucun mois comme j’aime le mois de mai. Si je devais absolument choisir, je mourrais en mai : mourir pendant que les arbres renaissent, peut-on espérer plus joli mois pour mourir ?

Début mai, on peut quasiment voir leurs bourgeons sortir. Ils sont nus, on pense qu’ils ne s’ouvriront jamais, avril s’accroche, interminable, têtu et puis, pouf, le temps de sortir le kit de patio, ils explosent et les couronnes de feuilles forment des arches au-dessus de nos têtes, comme si les arbres se donnaient la main d’un bord à l’autre des rues.

PHOTO ARMAND TROTTIER, ARCHIVES LA PRESSE

Le lilas « Josée » produit des fleurs roses.

Début mai, dans ma cour, l’amélanchier a explosé de mille fleurs étoilées. Même sur la branche désarticulée que je devrai bientôt couper, car fauchée par une tempête de vent, l’hiver dernier. Je vais avoir l’air d’un militant de QS qui écrit une lettre ouverte pour parler au nom du Peuple, mais il y a comme une image de la vie dans cette branche brisée qui fleurit malgré tout.

Je reviens aux lilas. L’autre jour, sur Facebook, une autrice de ma connaissance, Mme Claudia Larochelle, a fait ce qu’elle fait chaque printemps : elle a dit son amour des lilas et elle a confessé une compulsion, celle de s’emparer de fleurs de lilas dans son hood. Je la cite : « Voici venu ce temps de l’année où je sors en cachette à la tombée du jour, camouflée dans mes voilages, armée d’un ciseau aux lames bien affûtées… »

Et sous ces 29 mots, une photo de lilas.

Dans le fil de discussion, tout le monde s’est mis à jaser sur la beauté des lilas, sur leur odeur qui rappelle que le printemps revient.

Tout le monde, sauf une dame qui est intervenue armée du Code criminel en décrivant le geste de Mme Larochelle comme n’étant rien de moins que du vol, en tançant tous ceux qui osaient applaudir Mme Larochelle. La dame commentait comme s’il s’était agi d’un kidnapping d’enfant…

Réponses, contre-réponses, vacheries passives-agressives : la conversation collective s’est mise à chercher frénétiquement le fond du baril.

Ce que je pense des gens qui coupent un ou deux bouts de branches de lilas qui ne sont pas les leurs ?

Rien.

Imaginez un immense pays, fait de montagnes, de canyons, de chutes, de forêts, de plaines et de steppes. Vous le voyez ? Ce pays-là, c’est le vaste territoire des sujets sur lesquels j’ai des opinions…

Au-delà des frontières de ce pays, il y a le délicat enjeu des femmes qui dérobent des lilas aux voisins. Je n’ai pas de visa pour visiter cette contrée mystérieuse. J’espère simplement que Mme Larochelle ne sera pas accusée au criminel…

J’ai cependant une opinion sur la nature des discussions numériques au XXIe siècle. Mais ce sera pour une autre chronique.

Je citerai seulement frère Thomas, dans le roman Rosa candida, où un jeune Islandais part rescaper la roseraie2 laissée en friche d’un monastère sis dans une contrée non identifiée : « Pas étonnant que l’on n’ait plus envie de se morfondre à la bibliothèque quand, par la fenêtre, la beauté vous saute aux yeux. »

Nous sommes, semble-t-il, dans la période la plus achalandée de l’année dans les pépinières. C’est le temps des semis, de planter arbrisseaux et bulbes de toutes sortes, enfin, toutes sortes de choses vivantes que je ne connais pas. À ce sujet, j’ai l’autre jour lancé à la radio (et à la blague) au grand spécialiste du vivant Pierre Gingras3 que je l’attendais chez moi pour voir à ma cour semi en friche…

Il m’a écrit pour me demander si je voulais de l’aide ; je l’ai appelé et lui ai dit que je n’avais aucun talent pour l’horticulture. Pierre m’a répondu d’arrêter de dire des niaiseries, que personne n’a vraiment besoin de talent pour faire verdir sa cour, qu’il faut juste s’y mettre… 

Ça m’a quasiment convaincu.

Sais-tu comment planter un lilas, Pierre ?

1. Lisez La marche à l’amour, de Gaston Miron 2. Lisez sur le roman Rosa candida 3. Lisez le texte de Pierre Gingras « De petits lilas aux grandes ambitions »