Quatre ans après le début de la pandémie, le télétravail est à ce point ancré dans nos vies que son abréviation, TT, vient de faire son entrée dans Le Petit Robert.

Si ce terme est plus utilisé en France que chez nous, le Canada reste le champion incontesté du travail à la maison. Les travailleurs y passent presque deux fois plus de temps qu’ailleurs dans le monde, soit 1,7 jour par semaine, contre 0,9 jour dans une moyenne de 34 pays.

S’il n’en tenait qu’à eux, les employés resteraient encore plus souvent dans le confort de leur foyer, selon le Global Survey Working Arrangements. Cela explique les tensions grandissantes avec les employeurs qui, de leur côté, veulent les ramener plus souvent au bureau.

Aux États-Unis, les poursuites se multiplient contre les entreprises qui auraient mis fin au télétravail de manière discriminatoire ou antisyndicale, rapportait récemment le Washington Post1.

Au Canada, les grands syndicats de la fonction publique fédérale ont annoncé au début de mai qu’ils planifiaient un « été de mécontentement » en réponse à la volonté d’Ottawa d’imposer trois jours au bureau, au lieu de deux2. Risque d’orage et pluie de griefs à l’horizon…

Quel est le bon dosage ? Deux journées ? Trois ? Davantage ? Aucune ?

Oubliez ça !

On fait fausse route en se focalisant sur le nombre de journées obligatoires au bureau, comme si l’horaire dictait les processus de travail. Il serait plus logique de prendre la question à l’envers et de se demander quelles tâches devraient être accomplies au travail ou à la maison, afin de favoriser la productivité.

En ce moment, bien des employés établissent leur horaire en fonction de leur vie personnelle : la leçon de soccer des enfants, le rendez-vous chez le médecin, la promenade du chien. Cette flexibilité offre certainement un gros avantage pour la conciliation travail-famille… surtout pour les jeunes familles qui ont dû s’établir loin du travail, à cause de l’ascension des prix de l’immobilier.

Même si le travail à la maison peut aussi être une source d’isolement, les travailleurs adorent la formule. La quasi-totalité de ceux-ci estiment d’ailleurs être autant sinon plus productifs (96 %) et travailler autant sinon davantage d’heures (92 %) quand ils sont à distance, selon une étude du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) réalisée auprès de plus de 10 000 Québécois3.

Sauf qu’il faut voir plus large que la simple question de la productivité. Il ne suffit pas que chacun fasse son boulot efficacement à la maison, car une entreprise n’est pas le simple cumul d’individus ou d’équipes travaillant en vase clos.

Bien sûr, la pandémie a prouvé qu’on pouvait garder le lien grâce à la technologie. Mais il y a des limites à ce qu’on peut faire par Teams ou Slack.

En mode virtuel ou hybride, les interactions impromptues avec les collègues sont compromises – vous savez, les fameuses discussions dans le cadre de porte ou autour de la machine à café –, ce qui réduit les rétroactions informelles qui sont cruciales pour l’apprentissage4.

À l’ère du télétravail, on a vu des gestionnaires adopter une vision plus étroite, en se concentrant sur la tâche à accomplir, à court terme, plutôt que sur le développement des relations interpersonnelles et des compétences, essentiel à long terme5.

Dans ce contexte, bien des dirigeants s’inquiètent de l’impact du télétravail sur la culture d’entreprise et la capacité de se renouveler.

En avril, le patron de Nike a justement déclaré que le télétravail avait nui à la créativité, expliquant qu’il était difficile d’arriver avec des chaussures révolutionnaires en faisant de « l’innovation audacieuse et perturbatrice sur Zoom ».

La capacité de se renouveler passe aussi par la formation de la relève.

Or, la recherche démontre que le télétravail, s’il permet aux employés expérimentés de se concentrer sur leur tâche, peut laisser en plan les nouveaux employés qui manquent d’encadrement. Cet effet est particulièrement prononcé chez les femmes, qui ont moins tendance à demander et à recevoir du mentorat quand elles ne sont pas assises près de leurs collègues6.

Bref, si on laisse les employés organiser leur horaire complètement à leur guise, on risque de freiner le développement des jeunes et des femmes. Et on risque de renforcer les inégalités.

Mais au lieu de penser en nombre de jours au bureau, il faut pousser la réflexion plus loin, en se fondant sur des indicateurs clés pour avoir l’heure juste (p. ex. : capacité de résolution de problèmes, satisfaction de la clientèle) et en réorganisant le travail en fonction des tâches qu’il est préférable d’accomplir au bureau (p. ex. : remue-méninges) ou à la maison (p. ex. : rédaction).

Personne n’a la recette parfaite. Tout est une question de dosage. On ne balaiera pas du revers de la main la flexibilité que la pandémie nous a apportée. Mais les entreprises doivent aussi pouvoir atteindre leurs objectifs à long terme.

Les deux peuvent se combiner pour que le travail hybride soit le meilleur des deux mondes. Pas l’inverse.

1. Lisez « Poursuivre son employeur pour ne pas rentrer au bureau » 2. Lisez « Fonction publique fédérale : Les syndicats unis contre le retour au bureau trois jours par semaine » 3. Consultez l’étude du CIRANO 4. Lisez « What Leadership Development Should Look Like in the Hybrid Era » (en anglais) 5. Consultez une étude sur l’évolution de l’attitude de gestion (en anglais ; abonnement requis) 6. Consultez une étude sur le pouvoir de la proximité entre collègues (en anglais)