La circulation automobile est de retour au niveau prépandémique dans la majorité des régions du Québec… sauf le Grand Montréal. L’avènement du télétravail et la multiplication des chantiers continuent de bouleverser les habitudes des automobilistes de la région métropolitaine, jugent des experts et l’industrie du transport.

C’est ce que montrent des données colligées par La Presse à partir des débits de circulation publiés annuellement sur le site du ministère des Transports et de la Mobilité durable. Ces chiffres permettent de suivre l’évolution de l’achalandage sur chaque infrastructure et grand axe routier.

Durant la pandémie, la circulation automobile avait reculé en moyenne de 10 % à 20 % sur les routes du Québec. Depuis, l’achalandage s’est néanmoins peu à peu rétabli dans la majorité des régions.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

En 2023, la région de Québec enregistrait 98 % de ses déplacements prépandémiques.

En 2023, les régions de Québec et de Gatineau affichaient 98 % des déplacements enregistrés en 2019.

Sherbrooke et Trois-Rivières ont même observé des débits légèrement supérieurs à la période prépandémique.

Pendant ce temps, dans la région métropolitaine, la reprise de la circulation est beaucoup moins forte. Dans le Grand Montréal, les déplacements demeurent de 5 % inférieurs à ce qu’on enregistrait en 2019.

La baisse est d’ailleurs particulièrement marquée sur plusieurs ponts interrives comme Victoria (-38 %) ou Papineau-Leblanc (-13 %). Les ponts des axes 125 et 40 suivent aussi une tendance claire à la baisse. En moyenne, les bassins de véhicules sont environ 10 % moins nombreux sur les ponts par rapport à ce qu’on observait auparavant.

Plus calme au sud

Cette diminution se fait particulièrement sentir sur la Rive-Sud, où on atteint à ce jour environ 91 % des déplacements pré-COVID-19. Il faut dire que d’importants chantiers y ont bouleversé les habitudes.

Le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, où trois voies sur six sont fermées depuis octobre 2022 en raison d’une grande cure de jouvence, est le meilleur exemple. Depuis 2019, l’achalandage quotidien y est passé de 121 000 à 57 000 passages, une baisse de presque 53 %.

D’autres structures comme le pont Jacques-Cartier restent toutefois très utilisées. Celui-ci a accueilli, en 2023, 83 880 déplacements quotidiens, un chiffre en légère baisse, mais presque identique aux 84 600 passages de 2019.

Le nouveau pont Samuel-De Champlain, lui, a observé une légère hausse par rapport à son prédécesseur, mais la circulation est demeurée pratiquement inchangée sur les autres axes enjambant le fleuve Saint-Laurent. Bref, le chantier ne semble pas avoir entraîné de « déplacement » de ces véhicules, et ce, malgré une hausse de leur nombre. Tout indique donc que les déplacements entre Montréal et ses couronnes s’amenuisent ou, du moins, se font beaucoup moins régulièrement.

Il n’y a pas que sur les routes où la reprise des déplacements tire de la patte dans la région de Montréal. L’achalandage du transport collectif de la région métropolitaine oscille entre 75 et 80 % des niveaux prépandémiques dans la plupart des réseaux. À Québec, le Réseau de transport de la Capitale a enregistré en début d’année la plus forte reprise d’achalandage depuis 2019, avec un retour moyen de 95 % des déplacements en janvier, février et mars.

L’impact des cônes et du télétravail

Selon Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique Montréal, le télétravail – encore accepté par une majorité d’employeurs – reste « le principal déterminant » derrière ces chiffres.

« On le dit souvent, mais c’est encore vrai : ça donne plus de flexibilité pour effectuer ses déplacements à peu près n’importe quand dans la journée, donc si on a besoin d’aller au centre-ville, on n’ira pas en plein milieu de la journée ou sur les heures de bureau. Ça modifie nos habitudes sur le long terme », raisonne-t-elle.

Mais pourquoi alors Montréal semble-t-il faire exception ? Dur à dire, répond Mme Morency.

PHOTO CAROLINE PERRON, PHOTO FOURNIE PAR POLYTECHNIQUE MONTRÉAL

Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique Montréal

La variable qu’on connaît moins pour le moment, c’est le pourcentage de gens qui ont déménagé pour s’établir plus loin de la métropole, parce que leur fréquence de déplacements au bureau était moins grande. Ça a pu avoir un impact, mais on n’est pas encore capables de le documenter précisément.

Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique Montréal

À l’Association du camionnage du Québec, le PDG Marc Cadieux blâme en partie la multiplication des chantiers à Montréal. « Depuis quelques années, tous ceux et celles qui pénètrent dans la ville s’arrachent les cheveux. C’est de plus en plus complexe avec tous les chantiers. Maintenant, il n’y a plus vraiment d’heure idéale, la congestion, elle est partout », explique-t-il.

Son groupe dit d’ailleurs avoir « beaucoup de difficulté » à recruter de la main-d’œuvre en ce moment à Montréal et dans les grands centres urbains. « La réalité, c’est que la livraison coûte beaucoup plus cher à Montréal. […] On accomplit beaucoup moins de commandes, donc le coût par livraison a quand même énormément augmenté », conclut M. Cadieux.

Avec Pierre-André Normandin, La Presse