Des citoyens ont dû patienter trois mois et demi

Pour mourir officiellement, au Québec, il y a des délais, beaucoup de délais.

Cela fait 79 jours ouvrables – trois mois et demi – que la demande pour le certificat de décès du père de Vanessa Couture a été envoyée au Directeur de l’état civil. Et elle n’a toujours rien reçu.

« Si on tente d’appeler au service à la clientèle, ça dit que tous les agents sont occupés et de rappeler plus tard », dit-elle au sujet de cet organisme qui relève du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

Denis Mercier, lui, tente de régler la succession de sa mère, morte le 31 janvier 2024. Les délais actuels, dénonce-t-il, « risquent d’entraîner pour les citoyens des pertes financières et de faire rater des échéances pour produire les déclarations fiscales ».

Le certificat de décès, souligne-t-il, représente « la pierre angulaire pour le règlement d’une succession. Avec ce document en main, la personne responsable de la liquidation peut demander les recherches testamentaires à la Chambre des notaires et au Barreau. On peut alors agir partout, autant dans les institutions financières qu’auprès de l’Agence du revenu du Canada ou de Revenu Québec. Mais si le certificat de décès de l’état civil n’arrive pas, rien ne peut avancer ».

Comme il doit régler une succession compliquée, les délais pour obtenir le certificat de décès ont été pour lui « une grosse épine dans le pied ».

« C’est absurde que l’état civil mette autant de temps pour produire un certificat de décès », dénonce-t-il.

Mais vive le Protecteur du Citoyen !

Conscient qu’il n’est pas le seul Québécois à subir de tels délais, M. Mercier a contacté le Protecteur du citoyen pour se plaindre. Le Protecteur du citoyen a répondu. Mieux, il a effectué un suivi serré.

Et – coincidence ou pas – quelques jours après avoir parlé au Protecteur du citoyen, il a finalement reçu le certificat de décès.

« Je crois que l'intervention du Protecteur du Citoyen a accéléré les choses. Chose certaine, la personne chargée de ma plainte a été très efficace et a assuré un excellent suivi téléphonique avec moi. »

En novembre, La Presse a déjà écrit pour rendre compte des longs délais au Directeur de l’état civil, qui survenaient après les débordements déjà vivement critiqués aux bureaux de la Société de l’assurance automobile du Québec.

Lisez l’article « Plus de huit semaines d’attente pour des certificats de décès »

Au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, on assurait qu’un « plan d’action en cinq axes » avait été mis en place – plan incluant l’augmentation de personnel et la « montée en compétences des personnes et l’accroissement de la productivité ». Au 31 octobre 2023, le délai d’inscription des décès dont les dossiers sont complets et conformes était de 43,5 jours ouvrables, nous avait-on indiqué.

Depuis lors, plusieurs lecteurs nous ont écrit pour nous dire qu’eux aussi en étaient à plusieurs semaines d’attente.

Catherine Poulin, porte-parole du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, affirme que le délai moyen pour les dossiers conformes et complets est toujours de 43,5 jours – pile-poil, donc, avec la statistique du 31 octobre 2023 – et que le Directeur de l’état civil vise à ce que cela soit réduit à 20 jours ouvrables d’ici le 31 décembre 2024.

Des ressources additionnelles « sont actuellement en formation depuis deux mois », ajoute Mme Poulin, qui précise que « le traitement de décès constitue l’évènement de vie le plus complexe à inscrire ».

Mme Poulin fait enfin observer que 21 350 décès ont été répertoriés lors du premier trimestre de 2024, « ce qui représente le trimestre avec le plus grand nombre de décès depuis 2015 ».

La pyramide des âges étant ce qu’elle est au Québec, il y aura toujours plus de morts dans les années à venir. Si l’État civil ne suffit pas à la tâche, le pire est-il à redouter bientôt ? Le cabinet assure que non, que les 20 jours ouvrables d’attente sont et demeureront la cible.

Mise au parfum des délais et des explications gouvernementales, Marie-Soleil Tremblay, professeure titulaire à l’École nationale d’administration publique spécialisée en gouvernance et en finance publique, s’étonne qu’« on n’ait pas trouvé en 2024 une façon de faire plus optimale pour une procédure aussi routinière ».

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉCOLE NATIONALE D’ADMINISTRATION PUBLIQUE

La professeure titulaire à l’École nationale d’administration publique Marie-Soleil Tremblay

De façon générale, quand il y a ce genre de problème dans une organisation, avant de penser à ajouter du personnel, il faut d’abord voir si on a optimisé l’informatisation.

Tout en admettant ne pas avoir le fin détail d’un travail à l’État civil, elle s’étonne aussi que les employés soient si longtemps en formation.

Aussi, se demande-t-elle, dans l’éventualité où certains certificats de décès sont plus difficiles que d’autres à régler (parce que survenus à l’étranger, peut-être ? ), elle se demande dans quelle mesure les situations standards – une personne âgée morte à l’hôpital, par exemple – ne pourraient pas bénéficier « d’un traitement simple et rapide ».

Les lignes sont pleines ? Les gens sont de plus en plus habiles avec les recherches internet, fait observer Mme Tremblay. Quand tant de monde appelle, toute organisation devrait analyser ses formulaires et son site internet pour s’assurer que tout y est clair et limpide.