Pendant quatre mois, un groupe de députés canadiens de toutes les allégeances a fait des appels répétés au ministre fédéral de l’Immigration pour qu’il aide neuf anciennes députées afghanes à fuir le régime des talibans. Pendant quatre mois, ils ont espéré une réponse. C’est finalement un fusil qui leur a répondu en premier.

Dimanche, une des neuf femmes qui figuraient sur leur liste, la députée Mursal Nabizada, a été assassinée chez elle à Kaboul par un groupe d’individus armés.

La nouvelle a rapidement fait le tour du monde. C’est la première fois qu’une personne qui a siégé dans le Parlement afghan, le Wolesi Jirga, est abattue depuis la reprise du pouvoir par les talibans en août 2021. Le crime a été décrié aux quatre coins du monde. « Choquant ». « Horrible ». « Les responsables doivent faire face à la justice », a-t-on dit à Washington comme à Bruxelles.

Sûrement, le ministre Sean Fraser allait enfin réagir à la demande du groupe d’élus qui le talonne depuis des mois, s’est dit Alexis Brunelle-Duceppe, député du Bloc québécois qui fait partie de l’initiative avec, notamment, la cocheffe du Parti vert, Elizabeth May, Alex Ruff, du Parti conservateur, et Marcus Powlowski, issu des rangs libéraux.

PHOTO WAKIL KOHSAR, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Mursal Nabizada a été assassinée chez elle à Kaboul

D’autant plus que cet arc-en-ciel politique lui avait envoyé un ultimatum pas plus tard que vendredi dernier, lui disant que s’il ne bougeait pas le petit doigt, ils allaient parler en public de son inaction dans le dossier.

« Je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi on n’a pas eu de réponse après ce qu’on a envoyé vendredi et après ce qu’il s’est passé ce week-end », m’a dit le député du Lac-Saint-Jean mardi.

Ce silence est en effet plus qu’inquiétant. Il est scandaleux.

Il est aussi à l’image des actions du gouvernement canadien depuis le retrait bâclé des forces américaines et des troupes de l’OTAN de l’Afghanistan, en 2021.

Le groupe de députés n’est pas le premier à tenter de secouer les puces du ministre et du ministère qui est sous sa responsabilité, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), dans le dossier afghan.

Après avoir réussi à mettre 2000 Afghans en sécurité, dont beaucoup d’interprètes qui ont épaulé les soldats canadiens sur le terrain, un groupe de vétérans, le Veterans Transition Network, a annoncé publiquement en avril dernier qu’il mettait fin à ses efforts. Le directeur général de l’organisation, Oliver Thorne, a affirmé que son personnel souffrait d’épuisement après s’être buté encore et encore à la lourdeur du processus bureaucratique canadien.

« Ce qu’on voit, ce sont des politiques gouvernementales qui veulent tellement éviter les risques qu’elles en deviennent égoïstes », avait-il dit au Globe and Mail.

À l’époque, son ras-le-bol ne m’avait pas surprise. J’ai moi-même frappé un mur quand j’ai tenté d’aider mon ancien interprète et fixeur, Akbar Shinwari, dans ses démarches auprès d’IRCC. Les employés du bureau de mon député, Marc Miller, ont carrément arrêté de répondre à mes courriels.

Lisez la chronique de notre journaliste sur Akbar Shinwari

Finalement, ce sont les États-Unis qui ont donné l’asile à Akbar et à sa famille. J’attends encore à ce jour des réponses à mes questions.

On ne peut pas dire cependant que le gouvernement canadien, qui a promis d’ouvrir ses portes à 40 000 Afghans, n’a rien fait pour ses alliés dans le pays. À ce jour, 18 000 anciens collaborateurs ont pu venir au pays en quelque 17 mois. En tout, 27 000 Afghans ont trouvé refuge au Canada depuis que les disciples du mollah Omar ont replongé leur pays dans l’obscurantisme. Parmi eux, on trouve des militants des droits de la personne, des journalistes et d’anciennes députées.

Ce qui est choquant, c’est la lenteur du processus. À titre comparatif, le même ministère a réussi à approuver 492 000 demandes de visa pour des ressortissants ukrainiens en moins d’un an. En 11 mois, plus de 140 000 Ukrainiens ont atterri au Canada.

Munis d’un visa de trois ans assorti d’un permis de travail, les Ukrainiens ne reçoivent pas le même statut que les Afghans, qui arrivent comme réfugiés. Cependant, le programme ukrainien démontre que le gouvernement canadien est capable d’agir vite dans l’urgence s’il le veut.

Travaillant avec une organisation non gouvernementale qui a des antennes en Afghanistan, les députés canadiens qui veulent secourir les dernières élues afghanes ont tout prévu. Ils ont un plan d’évacuation. Ils ne leur manquent que les papiers d’immigration du Canada pour mettre ce plan à exécution, pour extirper ces femmes de la prison qui se referme sur elles. Des papiers qu’ils attendent depuis trop longtemps de la part d’un gouvernement qui dit pourtant fonder sa politique étrangère sur des idéaux féministes et qui a longtemps encouragé les femmes afghanes à s’impliquer en politique.

Mardi, le ministre Fraser a fait un appel de phares pour dire qu’il se penche enfin sur le dossier.

Espérons qu’il n’est pas trop tard.