En ce dimanche de froid blanc, prenons une seconde pour célébrer un trait québécois qu’on a tendance à oublier, comme le poisson oublie qu’il vit dans l’eau. Je parle du rejet quasi généralisé de la violence politique sous nos latitudes enneigées.

Je regarde ce qui se passe aux États-Unis, qui vivent un retour clair et net de la violence politique. Là-bas, le Parti républicain s’accommode de l’idée de la violence comme outil politique1 et refuse de condamner ceux qui en son sein en font l’apologie.

Chez les républicains, le discours qui transforme les adversaires en ennemis est devenu normal : ils sont majoritaires à considérer les démocrates comme des ennemis2. Ne vous étonnez pas de voir des publicités électorales où des républicains assassinent métaphoriquement des démocrates. Dans les mots d’un ex-conseiller de George W. Bush : les deux partis souffrent de la violence politique, mais un seul la célèbre3

Cette banalisation de l’utilisation de la violence politique dans la famille républicaine explique à merveille la banalisation par les élus républicains de la violence politique qui a caractérisé le coup d’État raté de janvier 2021 perpétré par des partisans républicains4.

Au Canada comme au Québec, grosso modo, les partis politiques résistent encore et toujours à cette tentation inquiétante et détestable de la violence politique, explicite ou tacite. Il faut s’en réjouir.

Mais l’appui de stars du Parti conservateur – comme Pierre Poilievre – aux manifestants d’Ottawa, malgré l’intention affichée de leurs leaders de renverser le gouvernement élu, demeure à ce jour sidérant5.

Un exemple québécois de ce rejet de la violence politique : le chef conservateur Éric Duhaime a été vivement condamné dès le début de la dernière campagne quand il a noté avec sarcasme qu’il n’avait pas besoin, lui, de gardes du corps pour la campagne parce que le peuple était de son bord…

M. Duhaime a perdu des jours de campagne à expliquer ces mots qui banalisaient les multiples menaces faites aux politiciens ces dernières années… En plus d’ouvrir la porte à des questions déplaisantes sur son jugement.

La semaine qui s’achève a donné un autre exemple de notre rejet de la violence politique. Le club de soccer CF Montréal a annoncé (en catimini) qu’il nommait Sandro Grande à la tête de son club de réserve, faisant dire (de manière floue) à M. Grande dans le communiqué de presse qu’il regrettait des erreurs de jugement passées (il s’était dit attristé en 2012 que le terroriste du Métropolis n’ait pas tué Pauline Marois).

Le ressac a été instantané dès que le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon a rappelé les propos tenus par M. Grande en 2012. Une des premières figures politiques à monter au créneau fut Marwah Rizqy, une députée du Parti libéral du Québec. Que Mme Rizqy ait sonné la charge de l’indignation libérale n’est pas anodin : historiquement, le PQ n’a pas eu d’adversaire plus acharné que le PLQ.

Mais ça n’a pas empêché Mme Rizqy de rapidement sortir le carton rouge pour sanctionner le club de Joey Saputo. Les autres partis ont aussi réagi négativement et durement, dans des condamnations qui venaient du cœur et qui relevaient purement de la décence humaine, sans calcul.

Est-ce qu’au Québec, ce rejet de la violence politique – même tacite – vient du traumatisme de la crise d’Octobre ? De ceux de la crise d’Oka ? Peut-être.

Mais le résultat net, c’est qu’ici, les discours violents qui mijotent aux marges de la société ne trouvent à peu près pas de relais politiques. Ce n’est pas rien. Aux États-Unis, tout un spectre de groupes qui épousent la violence ont des relais politiques, parfois au plus haut niveau de l’État6. Ces relais valident les idées les plus folles, souvent violentes. Ces idées s’en trouvent légitimées, via une boucle de rétroaction délétère.

Au bout du compte, ce rejet de la violence par la classe politique nous protège tous, en la confinant aux marges.

J’ai déjà dit de nos députés qu’ils ne sont jamais plus beaux que lorsqu’ils s’élèvent au-dessus de la mêlée partisane (je sais que c’est un état de grâce qui n’est pas possible à temps plein) et dans la saga CF Montréal-Sandro Grande, la classe politique a obtenu un A+.

M. GRANDE – L’affaire est entendue : le CF Montréal a manqué d’antennes dans la société québécoise en choisissant en toute connaissance de cause un coach qui a un jour souhaité l’assassinat de Pauline Marois.

Mais au-delà du club – qui devrait se doter d’un département de relations publiques qui voit au-delà du prochain match –, il y a la question de la responsabilité de Sandro Grande lui-même.

Personne ne le croit quand il affirme avoir été piraté, pour expliquer son message de 2012 célébrant l’attaque du Métropolis. Bizarrement, il avait pourtant naguère assumé la responsabilité d’un autre message hyperméprisant pour les souverainistes québécois, faisant même une démarche de réparation.

Mais au sujet du message sur Mme Marois ? Rien, pas un mot, silence radio.

Je suis peut-être naïf, mais l’eût-il fait en adulte responsable, à une autre époque et de façon sincère, peut-être que l’annonce de cette semaine se serait déroulée autrement pour M. Grande.

Mme MAROIS — L’ancienne première ministre espace ses interventions publiques, ce qui lui donne plus d’impact quand elle en fait. Elle a commenté l’affaire Grande avec le sens de l’équilibre qu’on lui connaît.

Pauline Marois ne fut au pouvoir que 18 mois de 2012 à 2014, dans un mandat minoritaire qui a été pulvérisé quand les libéraux ont crié – encore et encore – référenduuuuuuuum…

Mais chaque fois qu’elle « sort », je regarde aller Mme Marois : posée, calme, au-dessus de la mêlée. Elle fut encore tout cela, la semaine dernière. Avec le temps et avec le recul, on le mesure : elle était en politique pour les bonnes raisons. Les CPE, la déconfessionnalisation des commissions scolaires, tout ça…

Les Anglais ont un terme pour ces anciens élus qui deviennent de vieux sages, un club informel qui ne prend aucune demande d’adhésion : elder statesmen. Mme Marois est quelque chose comme une elder stateswoman.

Quand elle parle, j’écoute.

C’est moins le cas quand Jean Charest parle, mettons.

1. Lisez « Trump's next coup has already begun » 2. Lisez « The Republican revolt against democracy, explained in 13 charts » 3. Lisez « Only the GOP celebrates political violence » 4. Lisez « Democratic members, Fanone call on GOP to condemn political violence ahead of Jan. 6 anniversary » 5. Lisez « Leaders of truck convoy protests sought to overthrow government, national security adviser says » (abonnement requis) 6. Lisez « Le fasciste »