Ce n’est pas ce qu’on appellerait habituellement une bonne nouvelle. Cette semaine, on a appris que Bita Haghani Nasimi, une blogueuse iranienne de 22 ans et adepte de vidéos de danse sur TikTok, a été condamnée à 18 ans de prison après avoir pris part à des manifestations.

18 ans. Une éternité.

Ça aurait pu être bien pire. Arrêtée en octobre et accusée notamment de « corruption sur terre », l’étudiante de la ville de Sari était carrément passible de la peine de mort. Lors de son procès, qui a eu lieu dans le plus grand secret, l’accusation la plus grave a été écartée par le tribunal de la République islamique. Aujourd’hui, son avocat a espoir que la jeune femme passe seulement cinq ans derrière les barreaux.

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À Montréal, la députée solidaire Ruba Ghazal a reçu la nouvelle avec un mélange de tristesse et de soulagement. Le 23 décembre, quelques minutes avant de partir pour les vacances du temps des Fêtes, l’élue a mis sur les réseaux sociaux un message de soutien à la prisonnière politique. « En réponse à l’appel de la communauté iranienne, je serai sa voix au Québec », a-t-elle écrit, au-dessus d’une photo de la jeune Iranienne, en jeans et sans foulard islamique.

Lisez le gazouillis de Ruba Ghazal

La députée de Mercier a ainsi été la première élue québécoise à se joindre à une campagne internationale pour les prisonniers iraniens orchestrée par des membres de la diaspora, ici, mais aussi en Europe. En Allemagne, en France, en Autriche, des dizaines d’élus ont déjà accepté de « parrainer » des détenus iraniens. En les nommant, en montrant leur visage, en racontant ce qu’ils connaissent de leur histoire et, surtout, en demandant leur libération et la fin des exécutions en Iran.

« L’idée, c’est que plus le nom des prisonniers circule, plus ils sont protégés. On a peut-être sauvé des vies », dit Mme Ghazal. D’origine palestinienne et successeure du député Amir Khadir, d’origine iranienne, la députée dit ne pas avoir hésité une seconde avant d’accepter de se mouiller. « Ces femmes-là qui se battent pour leur liberté en Iran, ça pourrait être moi », dit-elle.

Député néo-démocrate dans Rosemont, Alexandre Boulerice a lui aussi décidé de parrainer un détenu, Darioush Mirshahi. Ce dernier a été arrêté le 22 septembre, tout au début du mouvement de protestation déclenché par la mort de la jeune Mahsa Amini aux mains de la police des mœurs iranienne.

L’homme de 35 ans, dont le frère vit à Montréal, aurait été torturé au cours de sa détention à Machhad. « Il a perdu connaissance à plusieurs reprises », note le député de Rosemont, joint par téléphone.

M. Boulerice, qui a rendu public son parrainage le 5 janvier, a annoncé le 10 janvier que Darioush Mirshahi avait été remis en liberté conditionnelle. « Quand j’ai appris la nouvelle, ma réaction a été une explosion de joie et de soulagement. Cela dit, je ne veux pas me donner un trop gros rôle dans le dénouement, dit-il. Quand on est élu, on a souvent un sentiment d’impuissance devant ce qui se passe à l’étranger, mais là, en participant à un parrainage, on a l’impression d’entrer dans le mouvement et de peser un peu », ajoute le député, qui promet de continuer à suivre de près le dossier de Darioush Mirshahi.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER D’ALEXANDRE BOULERICE

Darioush Mirshahi

Il compte aussi parrainer un autre détenu. Ce n’est pas le choix qui manque. Plus de 19 000 personnes ont été arrêtées depuis le début des manifestations. De ce nombre, plus de 700 ont reçu des condamnations, et pas moins d’une centaine seraient passibles de la peine de mort. À ce jour, quatre prisonniers ont été exécutés.

Tous ces chiffres sont approximatifs et sont compilés par des organisations non gouvernementales à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran. Ces dernières tentent de tenir à jour les informations sur la rébellion en Iran et sur la répression du régime. C’est tout sauf une tâche facile. Les avocats et les proches des détenus reçoivent souvent l’information sur le sort des détenus au compte-gouttes. Le processus judiciaire est opaque et arbitraire. Les communications avec le monde extérieur sont limitées.

À Montréal, des membres de la communauté iranienne se retrouvent presque tous les soirs dans un quartier général rue Sherbrooke pour planifier des actions en soutien à la rébellion iranienne, organiser des manifestations, peindre des affiches ou trouver des informations sur les détenus.

« Il y a beaucoup de gens dans la communauté iranienne qui ont deux emplois à temps plein ces jours-ci », dit Sherazad Adib, qui est au cœur de la campagne de parrainage des prisonniers politiques.

La Montréalaise espère qu’à l’instar de Ruba Ghazal, d’Alexandre Boulerice et de la sénatrice Julie Miville-Dechêne, qui est la marraine de Mona Afsami, une enseignante arrêtée en octobre, beaucoup d’autres politiciens prendront part à cette initiative. Avec les Fêtes, la réponse initiale a été timide de ce côté-ci de l’Atlantique, mais Sherazad Adib et ses camarades commencent à recevoir plus de réponses à leurs courriels, à sentir un intérêt grandissant.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE JULIE MIVILLE-DECHÊNE

Mona Afsami

Selon elle, le lancement de la campagne a coïncidé avec un ralentissement du rythme des exécutions en Iran, mais sans les freiner complètement. Deux jeunes hommes, Mohammad Mehdi Karimi et Seyed Mohammed Hosseini, ont été pendus par le régime il y a moins d’une semaine.

Leurs parrains – des élus allemands – n’ont pas tourné la page pour autant. Dans une vidéo à plusieurs voix, ils se sont adressés aux disparus. « Reposez en paix. Nous n’allons jamais oublier vos noms. Nous n’allons jamais oublier pour quoi vous vous battiez et comment vous avez été tués. Quand nous sommes devenus vos parrains politiques, nous savions que nous risquions d’avoir le cœur brisé. Mais nous avons promis de ne jamais détourner le regard et nous comptons tenir notre promesse. »