Soit vous êtes avec les bons policiers, soit vous êtes avec les méchants qu’ils interpellent…

En suivant le débat de plus en plus clivé sur la lutte contre le profilage racial dans les pratiques policières et la lutte contre la violence armée, on a l’impression qu’il faudrait ainsi choisir son camp. Comme s’il était impossible d’être à la fois pour la lutte contre les discriminations et pour la sécurité publique.

Aussi fausse soit-elle, cette opposition semble se donner des airs de vérité dans le contexte de l’inquiétante recrudescence de fusillades à Montréal.

Il faut lutter contre la violence, ça va de soi. Il faut veiller à la sécurité des citoyens, ça va de soi. C’est ce que soulignait la ministre de la Sécurité publique du Québec, Geneviève Guilbault, vendredi, en annonçant une nouvelle stratégie de lutte contre les armes à feu que l’on dit « sans précédent ».

« C’est assez ! », a-t-elle lancé. Pas normal que des parents aient peur d’aller jouer au parc avec leurs enfants.

Non, ce n’est pas normal, on est bien d’accord.

Ce qui est éclipsé dans ce discours promettant de mieux veiller à la sécurité des citoyens, c’est que les enjeux de discrimination dans les pratiques policières sont aussi des questions de sécurité.

Le profilage racial que subissent des citoyens innocents est aussi une forme de violence qui fait en sorte qu’un père de famille noir puisse avoir peur d’aller au parc avec ses enfants. Pas tant parce qu’il craint une balle perdue que parce qu’il craint la police, comme en témoignait le reportage troublant de ma collègue Isabelle Hachey, jeudi.

Lisez le reportage d’Isabelle Hachey

Ça aussi, ce n’est pas normal. Et pourtant, ça demeure une réalité quotidienne pour trop de gens. Un problème structurel, bien documenté, impossible à nier, qui crée de l’insécurité pour bon nombre de citoyens, sans que l’on dise avec autant de vigueur : « C’est assez ! »

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Si on veut trouver des solutions constructives, il faut briser l’opposition factice entre égalité et sécurité, souligne Massimiliano Mulone, professeur agrégé à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, qui cosigne avec les sociologues de l’UQAM Victor Armony et Mariam Hassaoui les rapports sur le profilage racial au sein de corps policiers de Montréal et de Repentigny.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Massimiliano Mulone, professeur agrégé à l'École de criminologie de l'Université de Montréal

On doit pouvoir, dans une société, lutter contre les discriminations raciales, qui sont évidentes, sans que cette lutte soit mise en opposition avec la sécurité publique.

Massimiliano Mulone, professeur agrégé à l’École de criminologie de l’Université de Montréal

Il est injuste de dire que la lutte antiraciste fait le jeu des criminels. C’est pourtant un discours qui prend de plus en plus de place, observe M. Mulone, qui s’est entretenu avec de nombreux policiers dans le cadre de ses travaux de recherche.

« Certains policiers vous diront que s’il y a une augmentation des fusillades à Montréal, c’est parce qu’il y a eu des mouvements comme Black Lives Matter, des rapports comme le nôtre et beaucoup de pressions de groupes militants ou d’organismes comme la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse disant qu’il faut cesser ou encadrer les interpellations. Ils diront qu’à cause de toutes les accusations de racisme qui pèsent sur la police, les policiers font moins bien leur travail parce qu’ils font moins d’interpellations. »

C’est ce que disait aussi en substance un superviseur retraité du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dans une lettre publiée récemment dans la section Débats, que le SPVM n’a pas voulu commenter.

Lisez la lettre publiée dans Débats 

L’exemple de Toronto, où une nouvelle politique d’encadrement des interpellations policières a fait chuter de façon draconienne leur fréquence, est souvent cité par les tenants de ce discours comme celui à ne pas suivre. Beaucoup associent l’augmentation des fusillades dans la Ville Reine à cette baisse du nombre d’interpellations.

Pourtant, des phases de fusillades, il y en a eu avant la mise en place de cette politique, rappelle M. Mulone. « Il y a 10 ans, on parlait déjà à Toronto de la guerre des gangs et des gens qui se faisaient tirer dessus au centre-ville. C’était la panique. Il n’y avait pourtant pas de discours anti-interpellation à l’époque. On n’en parlait pas vraiment. Les questions de profilage racial n’étaient pas à l’avant-scène. »

Le professeur de criminologie n’est pas du tout convaincu par le discours policier selon lequel moins d’interpellations équivalent à plus de crimes. « La police n’est pas le facteur numéro un qui influence le taux de criminalité dans la société. »

Ce n’est pas parce que vous avez plus ou moins de policiers que vous avez plus ou moins de crimes. Les causes du crime sont généralement des causes sociales, politiques, économiques totalement à l’extérieur du pouvoir policier.

Massimiliano Mulone

Est-ce à dire qu’il faudrait « définancer » la police ? Non. Mais il faudrait certainement redéfinir son rôle dans la société. Sortir de la culture du « combattant du crime », comme tente de le faire à Longueuil le chef de police Fady Dagher, en misant sur une police de concertation, qui pourrait faire davantage de prévention.

« Une bonne police, ce n’est pas juste une police qui arrête des criminels, souligne M. Mulone. Une bonne police, c’est aussi une police qui ne discrimine pas. Une police qui réussit à avoir un lien de confiance avec l’ensemble de sa communauté. De bonnes relations qui produisent un sentiment de sécurité. »

Une quiétude à laquelle tous devraient avoir droit, peu importe la couleur de leur peau.