(Ottawa) Ils échangent des textos sur une base quasi quotidienne. Ils s’appellent au moins une fois par semaine pour faire le point sur l’avancement de certains dossiers qui pourraient rapporter des dividendes économiques au Québec. Ils font aussi à l’occasion des rencontres conjointes sur Teams avec des investisseurs potentiels.

Leurs équipes n’ont pas le choix. Ils doivent suivre le rythme. La même bonne entente est de mise. Et cela va des chefs de cabinet jusqu’aux sous-ministres en passant par les directeurs des communications. Les chicanes de compétence ? On laisse cela aux autres. En somme, les deux machines travaillent « en symbiose ».

« Quel duo extraordinaire ! », a lancé jeudi le premier ministre du Québec, François Legault, lors de l’annonce de l’arrivée de la méga-usine de Northvolt sur la Rive-Sud de Montréal, en évoquant le boulot qu’accomplissent ensemble le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, et le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec, Pierre Fitzgibbon.

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« On parle de Northvolt aujourd’hui. Je comprends qu’ils se parlent tous les jours, même tard le soir. Il y en a toujours un des deux qui a une nouvelle idée pour un nouveau projet. Vous travaillez ensemble et ça donne des résultats », a-t-il ajouté, affichant un grand sourire de satisfaction.

François Legault voit juste. On a rarement vu à Ottawa et à Québec autant d’atomes crochus entre deux ministres qui ont eu un long parcours dans le monde des affaires avant de faire le saut en politique.

Le destin a voulu qu’ils occupent des fonctions similaires, en même temps, dans deux capitales. La nécessaire transition vers une économie carboneutre les a aussi placés à l’avant-scène d’une révolution industrielle qui s’amorce sur les chapeaux de roues. Les projets se multiplient. Les annonces conjointes aussi.

Simplifier les démarches des entreprises

Pierre Fitzgibbon aurait-il la même connivence si son homologue fédéral était un ministre venant d’une autre province ? Pour plusieurs observateurs, poser la question, c’est y répondre. Le prédécesseur de François-Philippe Champagne, l’ancien ministre Navdeep Bains, qui représentait une circonscription de la grande région de Toronto, a été en poste pendant six ans, de 2015 à 2021. M. Bains, qui a notamment présenté la stratégie du gouvernement fédéral pour créer des « supergrappes industrielles » au pays en février 2018, ne cultivait pas les relations avec ses homologues des provinces avec autant de soin et d’intensité que M. Champagne.

Moins de 24 heures avant l’annonce du plus gros investissement privé-public de l’histoire du Québec, jeudi dernier, MM. Champagne et Fitzgibbon ont accordé une entrevue commune à La Presse par visioconférence, signe de leur complicité.

Nous avons vraiment une belle complicité. C’est ce qui fait notre force. Je dis toujours : “Quand on travaille ensemble, tout devient possible”.

François-Philippe Champagne, ministre canadien de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

« Le fait que deux ministres puissent bien travailler ensemble a aussi un effet direct sur les équipes. C’est important. Les sociétés étrangères, quand elles regardent le Canada, elles trouvent cela compliqué parfois, deux gouvernements. Les deux équipes se connaissent. Mon sous-ministre parle plus souvent à Simon Kennedy [sous-ministre fédéral] que moi je parle à François-Philippe. Ça a un gros impact », soutient pour sa part Pierre Fitzgibbon.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Dans l’ordre : le ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, le premier ministre du Québec, François Legault, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, le ministre canadien de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, et le PDG de Northvolt, Peter Carlsson, jeudi dernier

Ces relations étroites facilitent d’ailleurs le dialogue avec les investisseurs potentiels, notamment dans la filière des batteries. En parlant souvent d’une même voix, ils réussissent à simplifier les démarches des entreprises désireuses de brasser des affaires au pays.

« Pour des investisseurs étrangers, ça peut être compliqué de négocier avec le gouvernement fédéral et ensuite avec le gouvernement provincial. Quand ils voient que l’on parle d’une seule voix, ça rassure et ça donne confiance », avance M. Champagne.

Le ministre donne l’exemple de Northvolt. L’entreprise a choisi le Québec parmi les quelque 70 territoires en Amérique du Nord. La campagne visant à convaincre cette nouvelle entreprise de s’installer au Québec a débuté en mai 2022, après que M. Champagne a rencontré l’un des dirigeants à Montréal et ensuite à Berlin. Le ministre a tendu une première perche et son homologue québécois s’est rapidement joint à l’effort pour convaincre les dirigeants quand le choix s’est précisé entre la Californie et le Québec.

« On se passe la rondelle »

Les deux ministres mettent aussi à profit leur vaste réseau respectif qu’ils ont bâti au fil des ans dans le monde des affaires.

« C’est comme une partie de hockey. On se passe la rondelle comme ça. C’est très courant. Mon rôle, c’est d’amener la rondelle au Canada. Quand l’entreprise décide que c’est le Québec, j’appelle Pierre. On l’a encore fait la semaine passée. Pierre amène des éléments à la discussion. On partage nos réseaux. On partage les connaissances. Et on partage l’expérience. Et c’est sûr qu’ensemble, on est plus forts », soutient M. Champagne.

François-Philippe Champagne a établi des relations presque aussi étroites avec le ministre du Développement économique, de la Création d’emplois et du Commerce, Vic Fedeli, en Ontario. À l’instar de MM. Champagne et Fitzgibbon, M. Fedeli était aussi dans le monde des affaires avant de faire le saut en politique. Ils ont annoncé au cours des derniers mois des investissements importants dans deux usines de production de batteries destinées aux véhicules électriques, l’une à Windsor, du constructeur Stellantis, et l’autre à St. Thomas, de Volkswagen.

Depuis qu’il dirige son ministère, M. Champagne multiplie les démarches pour établir des relations étroites avec les autres ministres provinciaux ou, mieux encore, avec les premiers ministres eux-mêmes. Il reste que sa relation de travail avec Pierre Fitzgibbon est d’un autre acabit. Ce dernier a d’ailleurs tenu à le souligner publiquement, jeudi dernier, lors de l’annonce sur l’usine de Northvolt.

« François-Philippe, t’es rendu un allié de chaque instant et un ami. Je veux te remercier au nom du Québec », a dit M. Fitzgibbon.