Nous avons appris, lundi, l’existence d’un mot tabou chez les dirigeants du Canadien. Celui qui commence par un R ? Non. Le mot « reconstruction » a été prononcé, il n’y a pas eu d’invasion de sauterelles, et personne n’est reparti du tournoi de golf du club avec une cicatrice sur le front.

Ladite expression commence plutôt par un P.

Price ?

Plafond salarial ?

Prix exagéré des billets pour un club au 28e rang ?

Bonnes hypothèses, mais non. P pour playoffs. Séries éliminatoires, en français. C’est le vice-président des opérations hockey, Jeff Gorton, qui nous a mis la puce à l’oreille dans son point de presse. « Je sais que tout le monde aimerait nous entendre dire le mot en P. Mais l’important pour nous, à l’interne, c’est d’être meilleurs tous les jours. Je sais, c’est cliché. J’en suis désolé. Mais c’est ce que nous désirons. Nous avons beaucoup de jeunes avec une marge pour progresser, et nous leur donnerons cette marge. Pour résumer [nos attentes] en un mot, on veut de la croissance. »

Son patron, Geoff Molson, s’est lui aussi tenu loin du mot commençant par P. Pas de promesse de participation aux séries. Peu de promesses tout court, en fait.

Ce qui le rendrait heureux ? « La progression. On veut des [joueurs] qui deviennent plus matures, et prêts à compétitionner dans la Ligue nationale, encore plus que l’année dernière. »

Quant au directeur général Kent Hughes, qui a osé chuchoter le mot le printemps dernier – « je ne sais pas si on atteindra les séries, mais on veut pousser pour les faire » –, il a cette fois tourné sa langue sept fois dans sa bouche devant les journalistes. Il s’est contenté d’affirmer que la position au classement sera un « effet secondaire » de la progression des joueurs et de l’équipe.

Vous aurez compris que la haute direction du Canadien affiche des attentes modestes. Aucune cible de victoires. De points. De rang. Remarquez, ça pourrait leur sourire. « La clé du bonheur dans la vie, c’est d’avoir des attentes faibles », a déjà déclaré le scénariste du dernier Spiderman, Chris Miller.

Impossible de décevoir les gens qui n’ont pas d’attentes. Par contre, ça reste possible de les surprendre. C’est gagnant-gagnant.

La saison s’annonce difficile. On s’en doutait. Le Canadien a terminé la dernière année au dernier rang de sa division, avec un différentiel de - 75. Il n’aura probablement qu’un seul nouveau joueur dans son alignement, Alex Newhook. Peut-être deux, si le gardien Casey DeSmith s’impose. Je vois mal comment le Tricolore pourra rattraper les clubs de tête dès cette saison. Dans combien d’années, alors ?

C’est flou.

Dans un an ? Dans trois ans ? Dans cinq ans ?

Les patrons du Canadien ne se prononcent pas.

J’accepte l’idée de la reconstruction. De toute façon, à cette étape, le processus est irréversible. Mais l’absence d’échéancier, elle, m’agace. Quand la haute direction envisage-t-elle d’émerger des bas-fonds ? En 2025, lorsque Christian Dvorak, Joel Armia et Jake Allen auront expiré ? Plus tôt ? Plus tard, comme chez les Coyotes de l’Arizona, où le directeur général Bill Armstrong prévoit un retour en séries dans cinq à six ans ?

« C’était une grande décision, il y a deux ans, de rebâtir cette équipe, a commenté Geoff Molson. On a vu toutes les équipes de la LNH qui ont fait la même chose. Ça ne se passe pas du jour au lendemain. » C’est vrai. La durée moyenne d’une reconstruction, depuis le lock-out de 2004, est d’environ six saisons. Je reconnais aussi que ça prenait du courage. Le risque de perdre des spectateurs était réel.

Pas facile de convaincre les abonnés dans les rouges de payer leur paire de billets 12 203 $ (avant taxes) quand le club perd plus souvent qu’il ne gagne.

Ou encore, d’espérer qu’une famille paye 500 $ pour quatre billets dans les bleus, sachant que le CH pourrait être déclassé par une puissance de la ligue. Car malgré les insuccès sur la patinoire, les prix des billets, eux, continuent d’augmenter.

« Je vois la progression [du Canadien], a ajouté Geoff Molson. Je pense qu’on est vraiment sur la bonne voie pour avoir une bonne équipe à long terme. C’est sûr qu’un jour, dans le futur, si ça ne progresse pas, ce sera décevant. Mais je n’ai aucun doute que l’équipe progressera cette année. »

Jeff Gorton a donné en exemple trois joueurs qui se sont améliorés la saison dernière : Kirby Dach, Samuel Montembeault et Michael Matheson. « Il n’y a pas beaucoup de joueurs dans notre équipe qui ont atteint leur plein potentiel. Très peu. Aux partisans, je dis : regardez cette équipe. Elle est vraiment jeune. Les jeunes joueurs ont encore de l’espace pour progresser. C’est une bonne raison de rester patients. »

« Il est possible que ça prenne plus de patience, a prévenu Geoff Molson. On verra. [Mais] je n’ai aucun doute que notre équipe est jeune, rapide et talentueuse. Je veux voir les jeunes se développer encore plus. Quand ils seront prêts, nous verrons une équipe très excitante. »

Tout le monde le croit.

Maintenant, on aimerait savoir quand.