Un de vos parents est célibataire et vous le voyez galérer sur les applications de rencontre ? Vous vous inquiétez pour son cœur et son corps ? Vous aimeriez l’aider à se frayer un chemin dans l’étrange jungle de la romance numérique ? Vous êtes au bon endroit.

Quand j’ai lu le dossier d’Olivia Lévy au sujet des personnes de plus de 50 ans qui cherchent l’amour, une histoire m’est revenue en tête. C’est celle d’une amie dont la mère, récemment séparée, avait accepté de rejoindre un inconnu dans un truck stop sur le bord d’une autoroute. Ma copine, alarmée, lui avait appris qu’il existait des options plus sécuritaires pour les premiers rencards. Il s’en était suivi quelques leçons de survie aux applications de rencontre.

J’avais trouvé le processus adorable… et inquiétant pour toute une génération n’ayant pas encore connu les aléas de l’ère numérique. J’ai donc profité du travail de ma collègue pour solliciter les conseils de deux expertes qui nous aideront à mieux accompagner nos parents dans l’univers changeant du célibat.

(De rien !)

Entamons la discussion

Le bonheur d’un individu qui sort d’une longue relation peut passer par de nouvelles rencontres romantiques, mais aussi par du temps pour lui ou l’exploration de ses passions, rappelle la sexologue Julie Lemay. Plutôt qu’être directif avec nos parents, il vaut mieux leur « montrer qu’on est disponible pour parler de leurs besoins, qu’on s’en soucie et qu’on ne désexualise pas les personnes âgées », croit-elle.

PHOTO KATYA KONIOUKHOVA, FOURNIE PAR JULIE LEMAY

Julie Lemay, sexologue

L’autrice de L’éducation à la sexualité : de la naissance à la préadolescence propose d’opter pour des questions générales : « As-tu pensé à rencontrer quelqu’un ? Te sens-tu prêt ou prête ? Si tu as des questions, n’hésite pas ! N’oublie pas que je suis à l’aise avec les applications, si jamais… »

De la même manière, Morag Bosom, chercheuse et conceptrice de contenus sexologiques pour le Club Sexu, nous recommande de nous intéresser à nos parents, mais sans les infantiliser. On peut toujours leur rappeler l’a b c de la sécurité, mais il se peut que notre parent ait réellement envie de se faire faire la tendresse au milieu de la 40 et il faut respecter ça aussi…

Maintenant, si on craint que notre mère n’ait pas l’habitude de nommer ses limites et qu’elle cherche à plaire à une personne trop entreprenante, on peut le lui dire. L’idée est de verbaliser nos inquiétudes, mais sans jugement.

Jasons ITSS

Sujet tabou, bien que primordial : la protection. On voit une recrudescence d’infections transmises sexuellement et par le sang (ITSS) chez les personnes de plus de 60 ans.

PHOTO CAMILLE DUBUC, FOURNIE PAR MORAG BOSOM

Morag Bosom, chercheuse et conceptrice de contenus sexologiques pour le Club Sexu

C’est un groupe qu’on asexualise culturellement. Ce préjugé de non-activité sexuelle nous empêche de lui adresser un discours d’éducation à la sexualité. Certains médecins ne penseront pas à parler de dépistage avec les personnes de plus de 60 ans, par exemple.

Morag Bosom, chercheuse et conceptrice de contenus sexologiques pour le Club Sexu

La chercheuse a appris que chez ces générations, ce type d’infections peut venir avec de lourds préjugés. Les ITSS sont associées à une grande promiscuité, aux partenaires multiples ou à une irresponsabilité de la part du porteur. Pourtant, les ITSS se présentent parfois sans symptômes et on peut les transmettre à notre insu, qu’importe notre orientation sexuelle et notre nombre de partenaires.

Bon. Jaser d’ITSS avec nos parents ne relève peut-être pas du réflexe.

Morag Bosom nous encourage alors à les guider vers des ressources. Club Sexu, média numérique auquel elle collabore, regorge d’articles à ce sujet, par exemple. Julie Lemay souligne pour sa part les informations et le ton accessibles du site Sex & U (ne vous fiez pas au nom, les textes sont disponibles en français).

Enrichissons notre vocabulaire

Une autre manière toute simple d’épauler notre père ou notre mère qui a vécu une séparation récemment est de lui apprendre le vocabulaire nécessaire pour composer avec les applications de rencontre.

Il est bon de savoir décrypter les émojis, par exemple, estime Morag Bosom. Sur un profil en ligne, ils représentent des intérêts et, parfois, ces intérêts peuvent être sexuels. Une licorne peut signifier qu’on cherche ou qu’on est une femme qui souhaite avoir des relations avec un couple. L’ananas peut être synonyme de libertinage. L’aubergine et la pêche ne relèvent pas non plus que des fruits et légumes. Et les gouttes d’eau ne veulent pas tout à fait dire qu’on a soif. Passez le message !

Catfish est un terme important à comprendre, insiste Morag Bosom : « Il fait référence à une personne qui va utiliser une fausse identité afin de séduire en ligne. Cette personne peut nous parler, échanger des textos à caractère sexuel (sextos), demander des photos… Il faut avoir l’œil aiguisé. Si quelqu’un nous semble trop beau pour être vrai, ça peut valoir la peine de faire une recherche Google pour s’assurer que ce n’est pas en fait un mannequin en Suède. » Parlons-en avec nos parents.

Malgré toutes nos bonnes intentions, il se peut qu’on ne soit pas la meilleure personne pour tenir ce genre de conversation.

Si les sujets intimes ont toujours été tabous au sein de notre famille, il n’y a rien de spontané dans ce renversement hiérarchique soudain.

Si vous vous reconnaissez dans cette situation, laissez la sexologue Julie Lemay vous rassurer : « Ça prend un village pour faire de l’éducation à la sexualité, c’est vrai pour un enfant comme pour un adulte. On peut exercer le rôle de vigie et passer la puck à des proches qui ont vécu des séparations, qui ont rencontré une nouvelle personne après une longue relation, qui ont eu des réussites ou des ratés… »

Créer un réseau d’éclaireurs pour nos parents, quelle belle idée.

« La sexualité, ce n’est tellement pas juste une affaire de jeunesse », conclut la sexologue.

(Une sacrée chance.)