Dimanche soir, ma collègue Léa Carrier a parlé de son excellent dossier « Le discours misogyne entre à l’école » ⁠1 à l’émission Tout le monde en parle. J’ai mentionné ce dossier lundi dernier et, comme ma collègue, j’ai reçu un abondant courrier masculin.

Ce courrier se divise en deux catégories : il y a les hommes qui se désolent de la popularité d’influenceurs misogynes comme Andrew Tate et qui se disent à la recherche de solutions. Ils ont apprécié le dossier de ma collègue qui, disent-ils, les a fait réfléchir.

Il y a également des courriels très agressifs de la part d’hommes qui blâment les femmes en général, et le féminisme en particulier, pour tout ce qui va mal dans leur vie.

Ces courriels sont parfois très violents. Je vous donne deux exemples que j’ai reçus la semaine dernière : « Devine quoi, m’écrit un lecteur, je ne suis pas marié à une femme née et élevée en Occident à la drogue dure des princesses Disney et du pseudoféminisme nord-américain. Ces femmes-là vont mourir seules avec leur chat. Tate, c’est la réponse à OnlyFans, elles veulent être des salopes, on les traite en salopes, aussi simple que ça. »

Un autre lecteur m’écrit : « Vous devriez plutôt vous inquiéter des comportements des filles/femmes qui agissent maintenant comme des putes désaxées que celui des hommes qui revendiquent simplement leurs places. »

Ouf !

Ce dernier a signé de son nom et a ajouté son numéro de téléphone, preuve que le discours misogyne est de plus en plus décomplexé. On ne se cache même plus derrière un pseudonyme.

Comme une réaction allergique

Cette agressivité prouve la thèse présentée par Léa dans son reportage. Il y a un vrai problème.

Une fois qu’on a dit ça, comment comprendre ce qui se passe chez certains hommes ? J’appuie sur « certains », car ce n’est vraiment pas représentatif des hommes que je connais.

J’ai beaucoup aimé le propos de la sociologue Mélissa Blais, invitée elle aussi à Tout le monde en parle pour analyser le phénomène des influenceurs misogynes. La chercheuse expliquait que lorsque les hommes parlent de leur souffrance pour justifier la montée des discours misogynes, il faut gratter un peu. Qu’est-ce qui se cache derrière cette souffrance, au juste ? Mélissa Blais fait remarquer que lorsque la masculinité est « en crise », c’est bien souvent en réaction à l’avancée des droits des femmes, et ce, depuis l’Empire romain. Comme une réaction allergique, en quelque sorte.

Aller à la rencontre des gars

Dans tout ce débat autour de la masculinité, je note que les hommes qui s’expriment avec agressivité ont de la difficulté à se définir eux-mêmes. Ils disent : « Je ne suis pas ceci ou je ne suis pas cela. »

Plutôt que de tenter une définition de ce qu’est un homme, ils sont en réaction au discours des femmes sur la masculinité.

Heureusement, il y a des hommes qui prennent le taureau par les cornes. Parmi eux, Michel Dorais, professeur retraité de l’Université Laval et sociologue de l’intimité et de la sexualité. M. Dorais a consacré une grande partie de sa vie à réfléchir à la masculinité et aux rapports entre les sexes, et on fait très souvent appel à son expertise. C’est lui qui a formé le personnel (entraîneurs, etc.) qui encadre les jeunes joueurs de la Ligue de hockey junior majeur du Québec à la suite des scandales d’agressions sexuelles.

Il a également collaboré à une émission de téléréalité (qu’il ne souhaite pas nommer) et offert des formations partout dans le pays. Son plus récent livre, La masculinité anti-toxique : ce que tout homme bienveillant devrait savoir, est un excellent point de départ pour entamer une discussion.

« C’est une clientèle difficile, les gars… », m’a-t-il lancé lorsqu’on s’est parlé la semaine dernière. Il n’y a pas 36 000 solutions, selon lui. Il faut parler, échanger, dialoguer avec les jeunes hommes.

« Il faut partir de leur expérience, insiste-t-il. L’idée n’est surtout pas de leur dire quoi penser, mais bien de partir d’un cas vécu et de réfléchir avec eux. Moi, je leur dis : on va réfléchir ensemble, vous allez utiliser votre intelligence. On remet la responsabilité entre leurs mains. »

Les écoles, les YMCA, les équipes sportives… Michel Dorais répète qu’il faut aller là où les jeunes se trouvent.

OK, mais une fois qu’on les a trouvés, on leur dit quoi ?

« C’est important de dire que ce n’est pas la masculinité qui est toxique, rappelle le sociologue. Ce sont certains comportements qui le sont. Mais cette discussion ne peut pas avoir lieu sans rappeler aux hommes que ce sont eux qui, collectivement, ont le pouvoir, et que ce pouvoir vient avec des privilèges. »

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Michel Dorais, professeur retraité de l’Université Laval et sociologue de l’intimité et de la sexualité

On ne dit pas que la féminité est vertueuse et que la masculinité n’est pas belle. Mais si des propos sur le féminisme provoquent de la violence, c’est bien la preuve que cette violence existe.

Michel Dorais, professeur retraité de l’Université Laval et sociologue de l’intimité et de la sexualité

Michel Dorais croit aussi qu’il manque de figures emblématiques pour les garçons.

Des exemples de mentors positifs, selon lui ?

« Le maire de Québec, Bruno Marchand. Voilà un gars sensible qui sait faire preuve d’empathie, de compassion et d’ouverture. Il nous faut plus d’influenceurs bienveillants comme lui. »

Je pense aussi à des hommes comme Karl Tremblay, qui vient de nous quitter. À Laurent Duvernay-Tardif ou à Émile Proulx-Cloutier aussi. Des gars engagés et inspirants, il y en a quand même de beaux exemples au Québec.

Le mot de la fin

Au cours de la dernière semaine, j’ai lu plusieurs commentaires à gauche et à droite d’hommes qui se désolaient que ce soient seulement des femmes qui parlent de masculinité sur la place publique. Comme ce lecteur qui m’écrit qu’il a beaucoup apprécié le dossier, avec une petite réserve : « Là encore, la majorité qui aborde le sujet sont des femmes qui interviewent principalement des chercheuses ou des expertes… femmes. »

Ce lecteur n’a pas tort. Moi aussi, j’aimerais que davantage d’hommes réfléchissent à voix haute à la masculinité et à l’égalité hommes-femmes.

Je laisse donc le mot de la fin à Luz (ex-Charlie Hebdo, dessinateur et auteur de bande dessinée), qui accordait récemment une grande entrevue au magazine L’Obs pour la sortie de son nouvel album, Testosterror.

« J’ai eu l’impression que le débat sur le féminisme et l’égalité hommes-femmes avait été embrassé par les femmes, mais pas du tout ou très peu par les hommes. Les femmes sont chargées de combattre pour l’égalité des sexes. On leur confie le sale boulot… Comme dans bien d’autres domaines. Ce sont elles qui portent la charge mentale du combat féministe. Or, le combat des femmes n’est pas un combat contre les hommes. C’est le masculinisme qui est un combat contre les hommes. »

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