La nouvelle bédé de Luz, Testoterror, arrive en librairie chez nous au bon moment, après un reportage de ma collègue Léa Carrier sur la popularité d’Andrew Tate⁠1 et d’autres masculinistes auprès des jeunes garçons qui a fait couler beaucoup d’encre – et de fiel. Dès que vous abordez le sujet, les hordes numériques vous tombent dessus, en particulier si vous êtes une femme qui s’exprime. D’où l’importance que des hommes prennent la parole, et si possible des hommes avec beaucoup d’humour comme le bédéiste Luz.

« Je suis allé sur les forums et les sites internet, je me suis intéressé aux incels, aux éléments de langage masculinistes et je me suis dit que si je faisais un bouquin sans humour, je me mettais sur leur terrain, explique-t-il. Et moi, je veux qu’on vienne sur mon terrain. »

PHOTO RENAUD MONFOURNY, FOURNIE PAR ALBIN MICHEL

Luz

Testosterror, une hilarante brique de 300 pages, raconte l’histoire de Jean-Patrick, un homme ordinaire, grassouillet à lunettes, concessionnaire automobile, toujours accompagné de son petit chien, qui sera entraîné dans un bordel pas possible lorsqu’un virus ciblant spécifiquement les hommes et entraînant la chute de leur testostérone fera capoter la société.

L’occasion pour Luz de s’interroger sur ce qu’est la masculinité et de détourner joyeusement mille et un slogans connus.

Jean-Pat, qui a été élevé par un père lui ordonnant depuis l’enfance de « sortir sa boîte à couilles », devra sauver son propre fils entraîné par un groupe de masculinistes paniqués par le « Grand Remplacement sexuel », qui organise des « testoprides » et des « mâle camps » au nom de « Liberté, Égalité, Virilité » et « Men Lives Matter » où l’on offre des « barbecues de pleine conscience » et des séances de dédicaces de Beigbeder, Zemmour, Finky ou Booba… Ça vous donne une idée du ton de cette bédé foisonnante.

IMAGES TIRÉES DE TESTOTERROR, FOURNIES PAR ALBIN MICHEL

Extrait de Testoterror

On entend souvent des hommes dire que les féministes manquent d’humour, mais quoi de plus mortellement sérieux que les masculinistes ? « J’ai été obligé d’aller si loin dans la caricature qu’au bout du compte, ces masculinistes que j’ai dépeints sont agréablement ridicules, souligne Luz. Le problème quand on va sur les sites masculinistes est qu’on a l’impression de quelque chose de très monolithique avec énormément de manque d’humour, et c’est ce que j’interroge. Mon héros est tellement engoncé dans ses injections viriles qu’il en a perdu le recul sur lui-même. Mais si on prend un peu de recul sur ce que l’on impose comme mythe de la virilité – la puissance, une certaine rétention d’émotions, l’appétit de pouvoir, être un sauveur, etc. – quand on regarde ces espèces de costumes dans lesquels une partie des hommes veulent faire rentrer les hommes, c’est absolument ridicule, complètement idiot, très moche et stupide. Du coup, j’avais envie de faire rire avec ce mythe de la virilité plutôt que de pointer un doigt dénonciateur. Faire une caricature très drôle, jusqu’au-boutiste pour dire : regardez dans quel ridicule vous nous emmenez. »

Place vacante

Luz est très surpris de l’accueil chaleureux qui a été fait à Testosterror en France, assez pour faire la couverture de L’Obs. « Ils m’ont dit qu’ils attendaient une bonne occasion pour pouvoir parler de ce sujet parce qu’ils ne savaient pas comment le traiter en France, raconte-t-il. Ça ma troué le cul. Ce bouquin fait sens en quelque sorte, malgré le fait que ce soit un livre drôle. Il est là un petit peu pour qu’il y ait quand même un livre fait par quelqu’un de progressiste sur le sujet. Que cette place soit prise et qu’elle ne soit pas laissée vacante et récupérable par l’extrême droite. »

L’idée est née chez lui après l’élection de Donald Trump, mais aussi en constatant que si les livres sur le féminisme pullulent, ceux sur la masculinité sont rares. Selon lui, l’un des premiers dans son pays a été Le premier sexe d’Éric Zemmour ! « J’avais cette inquiétude que, malgré des années de féminisme et une lutte forte et planétaire comme #metoo, ça n’a pas empêché des mouvements comme les Proud Boys d’exister et à un viriliste comme Trump de se faire élire. »

IMAGE TIRÉE DE TESTOTERROR, FOURNIE PAR ALBIN MICHEL

Extrait de Testoterror

Ça ne s’appelle pas Testosterror pour rien, car on dirait qu’une des dimensions fondamentales de la masculinité est la peur. Celle de ne pas être un « vrai » homme et surtout d’être féminisé. La plupart du temps, on semble se pencher sur la question masculine seulement en réaction au féminisme. « Rien ne les oblige à y réfléchir, croit Luz. C’est pour ça qu’il me fallait un évènement extérieur et ça a été le virus, qui tape là où ça fait mal, comme on dit. Aux testicules. Si on enlève la testostérone, qu’est-ce qui reste de la virilité, de l’homme ? Une fois qu’on accepte l’idée qu’une hormone nous rend plus forts, plus puissants musculairement, est-ce qu’au bout du compte, ça ne nous oblige pas à une certaine responsabilité ? »

Comme on ne s’interroge pas sur notre masculinité quand on est un homme adulte, on ne va pas chercher à transmettre autre chose que ce que l’on a transmis depuis des générations à nos enfants.

Luz

Ayant eu l’idée de son livre juste avant la pandémie, et tandis qu’il travaillait à l’adaptation de Vernon Subutex avec Virginie Despentes (forcément une influence), Luz a eu l’impression que le destin « lui écrivait un scénario », car la paranoïa autour de la COVID-19 a beaucoup servi à Testosterror. « Il faut permettre aux gens qui font de la satire d’aller le plus loin possible parce que de toute façon, le satiriste vous prépare à la réalité. »

Cet ancien de Charlie Hebdo qui a échappé par chance au carnage de l’attentat terroriste de 2015 sent un certain devoir en tant qu’artiste. « Je me rends compte que je dois être vigilant par rapport à ce que je donne et impose comme regard. Mais c’est un long parcours et je remercie mon père pour ça, car parmi ses référents masculins, il y avait David Bowie. Ce n’est quand même pas Sardou. »

Luz soutient aussi qu’il a toujours été un peu allergique aux « boys club », comme gars à lunettes qu’on forçait aux sports d’équipe, dans une méfiance qu’il appelle « l’androscepticisme ». « Nous les hommes, est-ce qu’on veut continuer à être habités par nos hormones et en être fiers ou est-ce que qu’on veut tout bêtement essayer d’être plus responsables ? Je pense que c’est une interrogation essentielle, et qu’il faut trouver des moyens de se désessentialiser. Moi, je me sens confortablement homme dans l’homme que je me suis créé, et il met du temps à s’accomplir, cet homme-là. J’essaye en tout cas d’être un peu plus attentif à ceux qui m’entourent non pas en tant qu’homme, mais en tant qu’être humain. Ça peut être valable pour tout le monde, non pas tant à chercher un universalisme absolu, mais à réfléchir en tant qu’êtres humains plutôt qu’en termes de genre. Mais pour ça, il faut comprendre les genres pour les faire exploser. »

Devant la popularité de Testoterror, Luz songe peut-être à un tome 2. Il remarque que sa bédé est achetée autant par des hommes que des femmes (et même des militantes féministes), mais que ces dames l’achètent bien souvent pour le donner aux mecs. « Quelque part, vaut mieux l’offrir que de se le faire offrir », conclut-il dans un grand éclat de rire.

Lisez le dossier « Le discours misogyne entre à l’école »
Testosterror

Testosterror

Albin Michel

320 pages