Ce matin, je tiens à partager ma grande fierté comme Québécois, comme cinéaste, qu'Incendies, de Denis Villeneuve, ait été parmi les finalistes pour le plus considérable des honneurs, celui de remporter un Oscar. Ce faisant, il a pu présenter sur la grande tribune de l'Academy non seulement sa création virtuose et les enjeux héroïques de ses personnages, mais un peu de leur âme et beaucoup de la nôtre.

Ce matin, je tiens à partager ma grande fierté comme Québécois, comme cinéaste, qu'Incendies, de Denis Villeneuve, ait été parmi les finalistes pour le plus considérable des honneurs, celui de remporter un Oscar. Ce faisant, il a pu présenter sur la grande tribune de l'Academy non seulement sa création virtuose et les enjeux héroïques de ses personnages, mais un peu de leur âme et beaucoup de la nôtre.

Au coeur d'Incendies, une tragédie dans la lignée des vertiges de Médée et d'OEdipe roi. Wajdi Mouawad, la plume trempée d'encre rouge, a élaboré une «machine infernale» dont Denis Villeneuve est sorti ébloui, transporté par la puissance dramatique de la pièce, remué par le destin tragique de Nawal, fille répudiée, femme violée. Il a été saisi par celui, tout aussi insensé, de son premier fils Nihad et par le courage des jumeaux Jeanne et Simon qui, en remontant l'écheveau du temps, vont en venir à contempler l'inconcevable.

Dès lors, Villeneuve est décidé. Il se retrousse les manches et va tenter d'adapter le texte fleuve d'Incendies pour l'écran. On reculerait à moins...  Le sujet, mastoc, le Liban des années 80 sous la poussière et le plomb, un monde arabe aux codes sociaux complexes et lointains. Mais voilà, il est inspiré par le verbe de Wajdi et par toute cette matière brûlante qui lui serre l'âme et le hante. Tout étranger qu'il soit au monde de l'auteur, les composantes de l'histoire interpellent en lui l'universel humain. Les personnages sont de chair et de sang, et bien qu'un destin diabolique les rassemble, ils crient et pleurent et souffrent, tout comme nous.  

À partir de ce moment-là, Denis Villeneuve ne le sait pas encore, mais il a déjà une place sur un vol Montréal-Los Angeles.

Les grands sujets ne font pas nécessairement de bons films, mais quand un cinéaste parvient, grâce à une écriture inspirée à maîtriser sa matière, à lui infléchir une vision à la fois puissante et singulière, le pari est d'ores et déjà bien engagé.

Mais encore, mais encore... faut-il ensuite réussir à traduire ce scénario-là en une réalité filmique cohérente, évocatrice et pénétrée du sens de l'oeuvre.

Lorsque je suis sorti de la projection d'Incendies de Denis Villeneuve, j'ai été ébloui à mon tour. Sa puissance narrative, l'incarnation que lui avait choisie le cinéaste, la vérité de ses mises en scène, la force des images d'André Turpin et la justesse des interprètes ont fait en sorte que le lendemain, j'écrivais un mot admiratif à Denis. J'en envoyais un second à ses producteurs, Luc Déry et Kim McCraw, qui, à l'évidence, avaient mis en place des circonstances exemplaires pour que le cinéaste puisse aller jusqu'au bout de son rêve.

Alors que l'autobus flambait furieusement derrière le profil éploré de Nawal, Villeneuve était encore loin de se douter qu'il posait ce jour-là un premier pied sur le grand tapis rouge hollywoodien.

Magnifique, Incendies est également une fiction toute singulière dans notre paysage cinématographique: son inspiration nous vient d'ailleurs. La nature des conflits, les étiquettes sociales, les paysages d'oliveraies et les rues criblées d'obus sont à des années-lumière de notre réalité. Cependant, voilà que tout ce lointain est examiné, broyé, puis «filtré» à travers la fibre émotive d'un cinéaste né au Québec.

Ce métissage de l'imaginaire entre Denis et Wajdi est considérable de conséquences. Il offre désormais une clé de sensibilité double qui nous donne ainsi l'occasion de mieux saisir les dédales d'un monde a priori étranger. Il invite surtout notre regard vers «les autres parmi nous», vers leur bagage, leurs blessures, leur héritage alors que l'Occident tout entier doit prendre acte d'une immigration en accélération.

À l'heure de la dislocation politique du monde arabe d'Afrique du Nord, Denis a remporté un pari encore plus grand que celui qu'il ne s'était fixé à l'origine: celui de nous proposer par son choix de sujet, une conscience élargie du monde. Ou peut-être était-ce délibéré?