Le manque de ressources et d'effectif chez les procureurs de la Couronne est une réalité qui perdure depuis beaucoup trop longtemps au Québec et qui a des effets dévastateurs pour notre système de justice pénale.

Le manque de ressources et d'effectif chez les procureurs de la Couronne est une réalité qui perdure depuis beaucoup trop longtemps au Québec et qui a des effets dévastateurs pour notre système de justice pénale.

Avec seulement 1% du budget de l'État investi dans la justice en 2010, il n'est pas surprenant de constater la présence d'injustices systémiques qui ne font qu'empirer. D'un gouvernement à l'autre, tous partis politiques confondus, la justice est considérée au Québec comme une préoccupation secondaire.

En 2001, le gouvernement péquiste avait aussi menacé les procureurs d'adopter une loi spéciale et finalement, après de nombreuses pressions de la part des procureurs, un médiateur avait été nommé pour faciliter les négociations, mais sans rattrapage avec les autres provinces.

Le maintien de l'inefficacité

De nos jours, la situation persiste malgré les pressions et les besoins de plus en plus importants. La loi spéciale, qui met fin à la grève et impose des pénalités sévères envers les procureurs en cas de violation, a non seulement comme effet de briser le lien de confiance entre l'employeur et l'employé, mais aussi de miner la confiance des citoyens envers le gouvernement actuel et l'efficacité du système de justice pénale au Québec.

La démission des procureurs-chefs et procureurs-chefs adjoints à la suite de l'adoption de cette loi spéciale, bien que refusée par le directeur des poursuites criminelles et pénales, laisse craindre une vague sans précédent de départs parmi les procureurs les plus chevronnés.

Si les postes laissés vacants par les départs à la retraite ou pour d'autres raisons devaient être comblés par de jeunes procureurs, le gouvernement ferait sans doute des économies au plan budgétaire, mais la perte d'expertise en découlant aurait des conséquences désastreuses pour l'administration de la justice dont l'ensemble de la population québécoise fera les frais pendant de nombreuses années.

Un rattrapage important est de mise, surtout lorsque les procureurs des autres provinces et fédéraux sont nettement mieux payés et disposent d'un nombre plus élevé d'effectifs, ainsi que d'un meilleur soutien administratif dans l'accomplissement de leurs tâches.

Il est urgent que le gouvernement prenne la situation au sérieux afin de permettre aux procureurs d'accomplir ses poursuites et devoirs de manière efficace et pour assurer l'efficacité du système.

L'intérêt de la société pour des poursuites efficaces

Les devoirs des procureurs provinciaux sont importants et nombreux. Ils sont responsables de la poursuite des personnes accusées des crimes les plus graves, soit les cas de meurtres, d'agressions sexuelles et autres crimes complexes comme la fraude et le gangstérisme.

De plus, le fardeau de preuve est lourd, ce qui implique une préparation très importante pour chaque dossier, un dévouement remarquable et beaucoup de rigueur. Leur travail consiste entre autres à divulguer la preuve contre l'accusé, contacter, interroger et préparer les témoins, analyser la preuve au dossier et décider s'il y a lieu de continuer la poursuite, régler hors cour en entreprenant des négociations de plaidoyer avec la défense ou mener le dossier à procès et peut-être même aller en appel.

Les procureurs ont aussi un rôle fondamental à jouer lors de la détermination de la peine: ils doivent évaluer l'ensemble des circonstances et proposer une peine juste et proportionnelle à la gravité du crime. Faute de ressources suffisantes, les procureurs actuellement ne peuvent se préparer adéquatement pour chaque dossier, ce qui augmenterait les chances d'acquittement d'individus coupables dans les faits et les risques d'erreurs envers des individus qui pourraient être injustement accusés.

Par ailleurs, le manque de ressources et d'effectifs engendre entre autres de lourds délais administratifs au Québec, étant considérés parmi les plus longs au Canada. Ces délais nuisent à l'ensemble du système et des individus en faisant partie. Les accusés qui vivent une période stressante et incertaine lors de cette attente et parfois doivent passer ce temps en détention. Les victimes qui souvent attendent la fin des procédures pour pouvoir tenter de surmonter à cet épisode et les nombreux inconvénients auxquels plusieurs témoins doivent faire face en attendant de livrer leur témoignage.

Les juges faisant face à des délais importants seraient obligés de prononcer un arrêt des procédures afin de respecter le droit constitutionnel de l'accusé d'être jugé dans des délais raisonnables.  

En outre, pour sauver du temps, les procureurs pourraient être incités à négocier avec la défense sans évaluer adéquatement le dossier pour ainsi obtenir des accusations réduites ou une peine moins lourde en échange d'un plaidoyer de culpabilité de la part de l'accusé.

Dans le cadre du processus pénal, les victimes ne sont pas représentées par les procureurs de la Couronne, mais ces derniers ont néanmoins certaines obligations provenant des chartes de victimes provinciales et des politiques de pratique de la Couronne envers les victimes d'actes criminels.

Le manque d'effectif et de ressources empêche ainsi les procureurs de prendre le temps de rencontrer les victimes pour leur fournir les informations nécessaires quant à leur dossier et des explications concernant les décisions qui ont été prises, augmentant ainsi le risque de victimisation secondaire et améliorant la compréhension et la confiance des victimes envers le système.

Procureurs chevronnés et relève

Sans incitatifs, il n'est pas surprenant de constater qu'un grand nombre de procureurs chevronnés ont démissionné au cours des derniers mois. Certains d'entre eux ont reçu des offres du fédéral ou ont quitté la Couronne pour joindre le secteur privé. Cette tendance va certainement s'accroître sans réponse constructive de la part du gouvernement provincial.

Par ailleurs, les meilleurs étudiants en droit, voyant ce manque de ressources et ces conditions de travail, décideront ainsi de faire carrière ailleurs qu'à la Couronne provinciale. Présentement, les postes de stagiaires à la fonction publique québécoise ne sont pas comblés dans le cadre de recrutement annuel. Qui va donc prendre la relève?

Bref, il est grand temps que les choses changent en offrant aux procureurs des conditions de travail qui soient comparables avec celles des autres provinces ou du gouvernement fédéral.