Le premier réflexe, lorsqu'on découvre l'ampleur du phénomène de l'endettement, tout comme ses conséquences individuelles et collectives, c'est de chercher des coupables. L'insouciance de certains consommateurs? La voracité des institutions financières? L'inaction des gouvernements?

Le premier réflexe, lorsqu'on découvre l'ampleur du phénomène de l'endettement, tout comme ses conséquences individuelles et collectives, c'est de chercher des coupables. L'insouciance de certains consommateurs? La voracité des institutions financières? L'inaction des gouvernements?

Au départ, comme le dit si bien une personne interrogée dans le cadre de ce dossier, si nous sommes aux prises avec un monstre à plusieurs têtes, il faudra déjà s'attaquer à plusieurs cibles à la fois. Mais ça ne suffira pas. Car l'endettement est le symptôme de quelque chose de beaucoup plus profond, une conception du bonheur, une façon de concevoir le progrès et le succès économiques. Décomposons un peu tout cela.

L'endettement des consommateurs, dans un premier temps, est culturel. On s'est éloignés des valeurs de prudence des générations qui avaient connu la pauvreté. Nous vivons dans un monde de gratification instantanée, où les gens se définissent à travers ce qu'ils consomment, où ils sont souvent prêts à dépenser même s'ils n'en ont pas les moyens. Cela se double d'une certaine insouciance face à l'épargne, peut-être due à la tendance des baby-boomers à ne pas se voir vieillir.

L'ignorance des choses économiques n'a pas aidé. Bien des consommateurs mesurent mal les conséquences de l'endettement et évaluent mal leur vulnérabilité. Je soupçonne d'ailleurs que le problème est plus sérieux que ce que dit notre sondage, parce qu'il y a un élément de subjectivité quand on mesure son propre endettement, qui mènera probablement à le sous-estimer.

Ces tendances de fond ont été accélérées par deux phénomènes économiques. Le premier est très récent, le fait que les taux d'intérêt soient très bas depuis la récession facilite le recours au crédit. Depuis le creux de la crise, le crédit aux ménages a augmenté deux fois plus rapidement que le revenu disponible.

L'autre processus économique se manifeste depuis bientôt une décennie. L'augmentation importante du prix des maisons rend plus difficile l'accès à la propriété et force les nouveaux propriétaires à s'endetter davantage. L'endettement pour acheter une maison ou rénover est, en soi, moins préoccupant qu'un voyage à crédit. Mais bien des propriétaires risquent de se retrouver dans une situation difficile quand les taux d'intérêt se mettront à grimper. La menace est assez sérieuse pour amener la Banque du Canada à multiplier les appels à la prudence.

La hausse du prix des maisons a eu un autre impact, ce qu'on appelle un effet d'accélérateur financier. Les propriétaires se sentent plus riches, ce qui les amène à consommer plus et à emprunter plus, notamment grâce aux prêts garantis par la valeur de leur propriété, comme les marges de crédit hypothécaires. Ce genre de prêts a augmenté deux fois plus vite que les hypothèques depuis 10 ans.

Cela nous rappelle le rôle des institutions financières, qui n'ont pas appris grand-chose d'une crise dont elles sont les principales responsables.

Tout cela est encouragé par une philosophie économique, où l'on valorise la croissance sans s'interroger sur la source de cette croissance. C'est la consommation qui est le moteur de l'économie depuis des années, notamment pour nous aider à sortir de la récession. Et cela mène les autorités à souhaiter une hausse de la demande des ménages, à la stimuler, à l'encourager, sans trop s'interroger sur ses conséquences, à commencer par l'endettement. À force de glorifier la consommation, on en vient à oublier les autres déterminants du succès économique, comme le travail, l'investissement, la productivité et l'épargne.

Comment peut-on détricoter tout cela? Le temps, parce que la hausse des taux va calmer les ardeurs. L'information, pour alerter les consommateurs sur les risques de l'endettement excessif. La réglementation, pour mieux encadrer le crédit. Mais surtout, il faut poser le problème à l'envers et promouvoir, encourager et récompenser l'inverse de l'endettement, c'est-à-dire l'épargne.