Quel écrivain dans le monde connaissait le mieux l'Abitibi? Qui a écrit six volumes sur l'épopée de cette vaste région? Un auteur québécois? Non. Un écrivain français, grand conteur populaire: Bernard Clavel, qui viens de nous quitter à l'âge de 87 ans.

Quel écrivain dans le monde connaissait le mieux l'Abitibi? Qui a écrit six volumes sur l'épopée de cette vaste région? Un auteur québécois? Non. Un écrivain français, grand conteur populaire: Bernard Clavel, qui viens de nous quitter à l'âge de 87 ans.

Invité en 1977 par son éditeur Albin Michel à passer une semaine au Québec, Bernard Clavel a le coup de foudre pour les grands espaces du Nord... et pour son attachée de presse, mon amie Josette Pratte qui deviendra sa muse, sa compagne, sa femme. À travers Josette, le Québec lui ouvrait les bras, pour citer Le Figaro du 6 octobre.

Cette semaine durera plus de deux ans. Mieux, en 10 ans, Bernard Clavel écrira une saga en six volumes sur l'Abitibi, d'Harricana à Maudits sauvages, ces héros vaincus des temps modernes dont le courage qu'ils mettent maintenant à relever la tête le comblait de bonheur.

Il était venu au Québec soigner de douloureuses blessures personnelles: il y trouva un formidable terrain de guérison. En fait, il avait besoin d'un grand changement d'air pour se remettre au travail. Confiant à Josette Pratte son désir de rester au Québec, il lui avait cité Rilke: «Mourriez-vous s'il vous était défendu d'écrire? Si votre réponse est affirmative, alors construisez votre vie selon cette nécessité.»

Grâce à Bernard Clavel, des lecteurs du monde entier ont vécu chez nous par l'imaginaire en découvrant Le royaume du nord. Les lecteurs québécois, quant à eux, ont redécouvert les dimensions épiques de leur pays et le courage titanesque de ceux qui l'ont défriché, bâti et habité.

Bernard Clavel avait toujours fui les honneurs, de la légion d'honneur (refusée deux fois) à l'Académie française. Certes, il avait accepté, en tant que prix Goncourt 1968 pour La fuite en hiver, de siéger à cette académie. Mais il démissionna six ans plus tard, se jugeant, lui, l'écrivain populaire, peu à sa place.

C'est pourquoi, lorsqu'il accepta en 2002 l'offre du gouvernement du Québec de devenir chevalier de l'Ordre national du Québec, la preuve était faite: le Québec et Bernard Clavel s'étaient compris, entre lui et nous s'était nouée une véritable histoire d'amour. C'est en souvenir de Tiska, l'inuit, en souvenir de la famille Robillard, les pionniers d'Harricana, en souvenir de Cyrille Labrèche, Martin Garneau, Koliare l'Ukrainien, Billon et leurs femmes, nouveaux colons d'Abitibi que je le décorai à Paris lors d'une belle cérémonie à la Délégation générale.

Sous l'apparence d'un personnage au comportement parfois abrupt et à la révolte à fleur de peau, Bernard Clavel était un tendre. De plus, il ne trahira jamais ses origines modestes et gardera de ses premiers métiers, bûcheron, débardeur, boulanger, le goût de l'âpreté du travail et celui de se précipiter dès l'aube sur sa plume, grâce à quoi il lègue une oeuvre immense de plus de 80 romans qui se sont vendus à des millions d'exemplaires, dont le dernier, Les grands malheurs, publié en 2004, réquisitoire implacable contre les guerres, reste fidèle à son image de combattant de la paix et de la justice.