D'emblée, je vous dirai que vous n'aurez pas affaire à mon indignation.

D'emblée, je vous dirai que vous n'aurez pas affaire à mon indignation.

Non que je me range du côté de la raison budgétaire probable, en ce qui a trait à votre récente décision de répondre par la négative à l'invitation de redonner vie au cinéma Parallèle dans les salles d'Ex-Centris, mais bien parce que nombre de voix légitimes se sont déjà élevées, battant de ce tambour-là.

Vous connaissez le dossier par coeur: Montréal a l'occasion, aujourd'hui même, de se doter d'un complexe de cinq salles dont trois existantes - cédées à prix d'aubaine par la généreuse proposition de Daniel Langlois -, cinq salles, offrant un lieu de diffusion documentaire et de fiction, non seulement unique de nature, mais indispensable, de vocation.

Indispensables, elles le seraient en effet, ces cinq salles de haut calibre, pour diffuser des films qui s'inscrivent dans l'expression vivante de leurs cultures, plutôt que dans la stricte logique du divertissement.

On entend que notre culture se porte bien, peut-être, mais elle est en danger. Nous sommes des insulaires fiers et... condamnés. Fiers de tout ce que nous manifestons par notre vitalité dans les arts de la parole, de la musique et de l'image. Mais condamnés également, par l'obligation que nous avons de survivre, en «plein éveil aux autres», because justement, notre isolement culturel.

Les nombreux festivals qui essaiment nos calendriers jouent ce rôle de poumon, admirablement. Faut-il s'étonner que nous en possédions autant? Comme si cette nécessité, trouvant racine dans son isolement, avait pour effet d'encourager et de promouvoir la présence, dans nos murs, des réalités vécues ailleurs dans le monde. On pense jazz, littérature, théâtre, cinéma, danse.

Cela nous enrichit, cela nous définit.

Et ce qui nous définit également, mais ce qui nous appauvrit, cette fois, c'est l'effet de ce que je qualifierais de l'aplanissement par la «mono-culture», au cinéma. Je veux parler de l'invraisemblable dumping, de cette avalanche de productions hollywoodiennes qui laminent le paysage québécois, et contre laquelle nous avons en vain, tenté d'endiguer la marée. Bien que la culture américaine qui les sous-tend fasse partie, dans une certaine mesure, de notre identité (et, disons-le, parfois pour notre plus grand bonheur), je veux vous rappeler que notre véritable talon d'Achille, au plan de l'imaginaire, est cette inexorable «capture» de nos écrans. Il y a clairement asphyxie en la demeure. Nombre de courroies de transmissions des cultures étrangères ont, en effet, cessé de travailler. Les projecteurs se sont éteints, ou ont troqué leurs bobines de film, avançant l'argument du rendement. À Montréal, le cinéma Beaubien est notre dernier bastion, que dis-je, notre ultime retranchement! Pour une ville de plus de deux millions et demi d'habitants, je considère ce fait comme une humiliation.

Le projet du cinéma Parallèle au complexe Ex-Centris constituerait une pièce vitale sur notre échiquier culturel, et l'on se doit, comme société préoccupée de son avenir, de fournir aux générations de cinéphiles, un regard continu, riche et varié de notre imaginaire propre et de celui des autres peuples. La génération montante est bien sûr la plus à risque, en ce qu'elle doit impérativement trouver accès à un cinéma indépendant, national et international, car alors, que deviendraient les références à Richard Desjardins, à Almodovar, aux frères Dardenne, à Jacques Audiard, ou à Jean-Claude Lauzon, tous découverts et distribués dans ce circuit Parallèle privilégié?

L'offre qui nous est faite, aujourd'hui, sur un plateau d'argent, est en train de passer. Cette offre, vous le savez, est circonstancielle, liée à la transition inéluctable des trois salles actuelles de Langlois, qui seront autrement soit transformées, soit démolies, liée également à l'aventure du Cinéma Parallèle - branché sur respirateur artificiel - laquelle institution se cherche un lieu, d'où elle pourra assurer (enfin!) la pérennité de sa mission, et enfin, liée à l'association ponctuelle avec Christian Yaccarini, joueur important dans la revitalisation du Quartier des spectacles, un projet qui, avec la résurrection attendue du boulevard Saint-Laurent, nous interpelle tout un chacun. Le Complexe Excentris y serait un phare, incontournable.

Rares sont les gestes de nos politiciens et de nos politiciennes dont on peut dire qu'ils résonneront dans le temps comme des balises, imprégnant notre réalité de manière durable et bénéfique.

Plus rares encore sont ces décisions, prises parfois dans des contextes difficiles, qui tranchent par leur justesse et par leur clairvoyance, et qui signent haut et fort l'engagement de leurs auteur(e)s, face à l'avancement d'une culture, face à l'appétit d'un peuple.

Madame la ministre, l'occasion vous est donnée d'accrocher cette fleur-là à votre boutonnière.

Le moment est là. Le bateau passe...