Il est curieux que le Jour de la Terre-Québec (22 avril) ait choisi l'embouteilleur d'eau Naya comme «partenaire majeur»: en raison de la pollution inutile qu'elle occasionne, l'industrie de la bouteille d'eau n'a normalement pas la cote chez les écologistes.

Il est curieux que le Jour de la Terre-Québec (22 avril) ait choisi l'embouteilleur d'eau Naya comme «partenaire majeur»: en raison de la pollution inutile qu'elle occasionne, l'industrie de la bouteille d'eau n'a normalement pas la cote chez les écologistes.

La clé du mystère se trouve peut-être dans un article dédié à l'éloge de l'«association toute naturelle» entre le Jour de la Terre et Naya, qui «a placé le développement durable au coeur de ses activités». Le problème avec ce raisonnement, c'est qu'au-delà des efforts de verdissement de Naya - qu'il ne s'agit pas de remettre en question ici -, l'industrie de la bouteille d'eau est en elle-même incompatible avec le développement durable.

Une industrie superflue

Archétype de la création d'un marché par la publicité, la consommation d'eau embouteillée repose avant tout sur l'image «santé» qu'on a savamment accolée à ce produit. Ainsi, la marque Evian est promue par des bébés et nombreuses sont celles qui jouent la carte des espaces naturels vierges. La montagne est particulièrement populaire dans l'iconographie des embouteilleurs: même Aquafina, qui tire pourtant son eau de l'aqueduc municipal, insère une montagne stylisée sur ses emballages!

Si l'eau contenue dans les bouteilles vendues est certes un produit sain, l'industrie qui la produit, elle, ne l'est pas pour autant. En effet, elle est largement superflue, et donc, pollue inutilement, puisque les autorités québécoises s'assurent déjà que les citoyens aient accès à une eau potable de bonne qualité.

Or, la hiérarchie des trois «R» du développement durable nous rappelle que s'il est bon de Réutiliser ou de Recycler les bouteilles d'eau, il est encore mieux d'en Réduire le plus possible la consommation. C'est d'ailleurs l'avis du ministère du Développement durable, «partenaire associé» du Jour de la Terre (!), qui incite l'administration publique à la «réduction de la consommation d'eau potable embouteillée au bureau». Bien que la règle des trois «R» s'applique à tous les produits, elle prend toute sa force dans le cas des bouteilles d'eau: avec l'aide du robinet, d'une gourde et des fontaines publiques, il est aisé de se passer à peu près complètement de l'eau embouteillée.

Selon Recyc-Québec, quelque 775 millions de bouteilles d'eau auraient été vendues au Québec en 2005 - 102 par personne - et on estime que la moitié d'entre elles auraient été bues à la maison. Non seulement cela défie-t-il toute logique économique (l'eau du robinet est d'aussi bonne qualité et coûte une fraction du prix de l'eau embouteillée), mais il s'agit également d'un beau gâchis écologique puisque la production et l'acheminement d'eau embouteillée consomment entre 1000 et 2000 fois plus d'énergie qu'un service d'eau municipal.

Si cette estimation varie du simple au double, c'est parce que l'empreinte énergétique varie d'un produit à l'autre, par exemple en raison du transport. Ainsi, il est possible au Québec, pays d'eau s'il en est, de boire de l'eau venue des îles Fidji (et la compagnie qui l'exporte se prétend aussi verte que les marques de chez nous...).

Uniquement aux États-Unis, l'industrie de la bouteille d'eau peut être tenue responsable de la consommation de l'équivalent d'entre 32 et 54 millions de barils de pétrole en 2007, probablement le triple à l'échelle mondiale.

Pour revenir dans la province, Recyc-Québec précise que les bouteilles d'eau bues à la maison en 2005 n'ont été recyclées que dans une proportion de 57%. À la suite de leur seule consommation à domicile, là où l'eau du robinet est on ne peut plus accessible, les Québécois enverraient donc directement dans les dépotoirs et incinérateurs quelque 166 millions de bouteilles d'eau vides chaque année.

On voit qu'en voulant adopter un mode de vie sain pour eux-mêmes en tant qu'individus, les Québécois en viennent, collectivement, à faire prospérer une industrie non durable parce que largement superflue et ultimement dommageable pour leur santé et celle de leurs enfants. Solution individuelle, privée et marchande au faux problème de la mauvaise qualité de l'eau publique, l'eau embouteillée est bien de son temps. Tout comme ses effets pervers pour notre Terre.

Un mauvais choix de partenaire

Faire d'un embouteilleur d'eau un «partenaire majeur» du Jour de la Terre est donc une démarche incongrue. Il ne s'agit pas ici d'accuser l'industrie de la bouteille d'eau de tous les maux de la Terre ni de stigmatiser le partenaire choisi, Naya. Pour les rares occasions où l'eau embouteillée constitue un choix raisonnable, la marque Naya est peut-être une des options les plus «écologiquement correctes» au Québec. Seulement, de manière générale, en concurrençant l'eau publique, l'industrie de la bouteille d'eau ne va pas dans le sens du développement durable promu par le Jour de la Terre. Pourquoi ne pas plutôt s'être associé avec, disons, un fabricant de gourdes réutilisables? Notons que sur son site web, le Jour de la Terre-Québec vend des sacs fourre-tout réutilisables, «une alternative [sic] durable aux sacs de plastique», mais pas de gourdes, une solution de rechange aux bouteilles d'eau. Est-ce un pur hasard?

Réduire notre consommation de bouteilles d'eau n'est qu'une goutte dans l'océan des mesures à prendre pour rendre notre développement réellement durable. Néanmoins, c'est une mesure symbolique forte: l'eau est le sang de cette Terre que l'on célèbre chaque année le 22 avril. Si nous n'arrivons pas à choisir l'eau publique, de bonne qualité et peu coûteuse, comment arriverons-nous à faire les choix plus contraignants que la sauvegarde de l'environnement exige? Cette année, ne portons pas notre toast à la Terre avec une bouteille d'eau; préférons-lui le verre ou la gourde.

* L'auteur est doctorant en science politique et membre du Laboratoire d'études et de recherches en sciences sociales sur l'eau (LERSS-eau) à l'Université d'Ottawa.