Ma relation avec la communauté haïtienne a débuté il y a de cela une quinzaine d'années par une très belle amitié avec Dany Laferrière. Au fil de nos rencontres, nous avons, tant bien que mal, essayé de refaire le monde sans jamais rien se promettre. Seulement le gage d'une très belle amitié.

Ma relation avec la communauté haïtienne a débuté il y a de cela une quinzaine d'années par une très belle amitié avec Dany Laferrière. Au fil de nos rencontres, nous avons, tant bien que mal, essayé de refaire le monde sans jamais rien se promettre. Seulement le gage d'une très belle amitié.

Les années se sont égrainées, Dany a fait la rencontre de ma famille, et nous avons toujours cultivé ce respect mutuel des vieux amis qui n'ont pas besoin de lieu ni d'agenda pour se retrouver. Le temps a passé et il y a de cela trois ans, un auteur haïtien, Arol Pinder, m'a demandé de mettre en scène une de ses oeuvres avec plus de 150 artistes. Tous autant et plus talentueux les uns que les autres. Ainsi, pour un soir seulement, cette apologie à l'amour m'a été offerte, moi, la seule blanche parmi les leurs. Je savourais chaque mot, chaque phrase musicale d'un peuple fait de créations et de passions.

C'est en somme à ce moment-là que j'ai été ensorcelée par l'intelligentsia et par la générosité de ce peuple au coeur d'or. Depuis, le directeur de la radio, Jean Ernest Pierre, m'a approché pour que j'anime le retour à la maison, ce que je fais depuis un an sur les ondes de CPAM.

Ce 12 janvier, à 17h01, tout s'est arrêté. J'ai été la première à annoncer à toute la communauté haïtienne cet immense séisme qui venait d'anéantir leur pays. Moi, la seule blanche de la station, en compagnie de mon collègue Pierre-Michel Bolivard, devions livrer en direct ce que nous-mêmes n'arrivions pas à croire. Les journalistes de la station n'étaient pas seulement des journalistes, ils devenaient alors les victimes directes de cette catastrophe. CPAM est alors devenue le point de rencontre des médias.

Depuis ce jour, les artisans de cette radio poursuivent sans relâche leur travail, tout en donnant du mieux qu'ils le peuvent des nouvelles des leurs, souvent sans avoir eux-mêmes de nouvelles de leurs proches.

Le temps semble s'être arrêté, et les mots nous manquer. Hier, pour la première fois, mon coanimateur, Pierre-Michel Bolivard, a craqué et s'est effondré en larmes, quand une journaliste de la CBC m'a posé la question: «Pourquoi, vous, Sophie Stanké, travaillez-vous à cette radio?» «Une blanche parmi les noirs, c'est plutôt cela votre question?» Sans perdre un instant, j'ai répondu: «Je n'ai jamais rencontré, chère madame, dans ma carrière, autant de richesses intellectuelles qu'à CPAM!»

Si Dany Laferrière m'appelle «ma petite soeur», c'est que lui a compris que l'amour que j'ai pour ce peuple n'a pas de couleur de peau. Oui, j'ai par la suite moi-même craqué en ondes et j'ai pleuré. J'ai pleuré à cause de cette impuissance. Cette injustice, cette fatalité à ne pouvoir rien faire pour Haïti. Il ne me reste que les mots pour agir et j'ai le devoir de poursuivre mon émission en rapportant du mieux que je le peux l'information à ma famille élargie.

Pourquoi je pleure, moi, la seule blanche de la station? «Bien, chère collègue journaliste, je vais vous répondre. Je pleure pour ma famille, pour la famille que je me suis faite. Ma famille de la radio. Ma famille de coeur. Il n'y a pas de couleur de peau pour pleurer! Il n'y a pas de couleur de peau pour aimer, et depuis ce mardi 12 janvier, nous sommes tous des Haïtiens de coeur!»

Je vois autour de moi des Québécois profondément touchés par la situation et désirant aider du mieux qu'ils le peuvent. La force d'un peuple, c'est avant tout son humanité.