Quarante ans plus tard, quels souvenirs gardez-vous de la crise d'Octobre? Quelle leçon faut-il en tirer?

D'après vous, le premier ministre Robert Bourassa était-il justifié de demander au gouvernement fédéral l'intervention de l'armée? Le gouvernement Trudeau a-t-il eu raison d'imposer la Loi sur les mesures de guerre?

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Le choc titanesque de deux terrorismes

En octobre 70, je venais tout juste d'avoir 27 ans. J'étais un jeune sociologue et j'enseignais la sociologie depuis 1966, d'abord dans un collège classique, ensuite dans un cégep. J'étais engagé dans une brochette de mouvements sociaux (et nationalistes) dont le FRAP et une clinique médicale populaire. Mon souvenir le plus intime, c'est que les ennuis «policiers» provoqués par la crise ont alors entraîné une pathétique rupture amoureuse qui m'a laissé K.-O. Mais en ce qui concerne l'aspect plus sociopolitique et culturel, la crise d'Octobre restera toujours pour moi la «jonction» étourdissante et fracassante de deux terrorismes de géométrie très variable. D'un côté, il y avait le «vieux» terrorisme un peu ringard et stupidement assassin du FLQ, lequel sévissait depuis 1963. J'étais alors radicalement opposé au terrorisme et dégoûté de constater que certains activistes simplistes pensaient être à Cuba, en Algérie, en Uruguay ou au Congo. Ce terrorisme décrépit, sénile et rococo a fini par passer de la bombe au kidnapping, provoquant ainsi un affrontement majeur et une crise d'une profondeur sociologique qu'on ne souligne pas assez souvent. Il est possible et probable que les forces policières et dites de l'ordre au sens le plus large (je pense entre autres à l'infâme clique à Drapeau) avaient infiltré partiellement ce mouvement stagnant et régressif. Mais ce qui a été absolument inédit ici au Québec (sauf erreur), c'est qu'un deuxième terrorisme, puissant, imperturbable, sans coeur et impitoyable s'est alors mis en branle. Ce terrorisme cauchemardesque, c'était le terrorisme de l'État, de l'État à trois têtes: fédéral, provincial et municipal. Je ne suis pas un partisan des théories du complot, théories qui mutilent les tentatives d'explications allant plus en profondeur. Mais il est certain, en ce qui me concerne, que l'état « tricéphalique» a profité de l'occasion offerte pour massacrer le mouvement nationaliste et divers autres mouvements davantage orientés vers le social et vers les luttes citoyennes. Le monstrueux terrorisme étatique a fini par gagner, du moins en apparence. Mais six ans plus tard, le PQ était élu, souverainiste et socialiste. L'État est essentiel, mais en démocratie il importe de se méfier des politiciens et des grandes entreprises. La bête immonde du terrorisme étatique n'est jamais complètement neutralisée. Alors, soyons vigilants!

Jean-Serge Baribeau, sociologue des médias

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Je remercie Trudeau

En octobre 70, j'étais étudiant à l'Université de Toronto, jeune père de famille, membre du «French Club». J'ai été escorté par au moins deux «pans de mur» et mon téléphone a été sous écoute. Plusieurs cas hors Québec m'ont été rapportés. Les annonceurs de Radio-Canada étaient les premiers suspects. Après avoir subi ce beau Canada pendant un quart de siècle, j'ai réalisé que je faisais partie d'une société distincte et que ce n'était pas normal d'avoir à me battre chaque jour pour exister. C'est à ce moment que le Québec est devenu mon pays et que j'ai décidé de réintégrer la terre de mes ancêtres, qui s'étaient exilés dans ce beau Canada bilingue. J'ai pu ainsi éviter le lot de mes cousins qui sont restés au Canada: l'assimilation! Pour ce réveil brutal, je remercie TrudeaU!

Laurent Desbois, ex-Franco-ontarien et fier Québécois depuis 40 ans

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Une réaction hors de proportion

J'avais 22 ans et j'en ai des souvenirs très nets, ayant vécu la «crise» au quotidien. Le premier ministre Robert Bourassa était-il justifié de demander au gouvernement fédéral l'intervention de l'armée? Absolument pas. Je demeure persuadé que lui et le maire Drapeau ont tout simplement paniqué devant une situation pour laquelle ils n'étaient pas préparés de par leur formation et expérience politique. Il faut se rappeler que le terrorisme en était à ses débuts dans le monde et tout à fait étranger à la culture du Québec. Le gouvernement Trudeau a-t-il eu raison d'imposer la Loi sur les mesures de guerre? Trudeau, qui malgré ses multiples défauts, était un homme d'une intelligence redoutable, y a vu très vite une occasion en or de se faire du capital politique et de montrer sa fermeté face au mouvement indépendantiste, toutes tendances confondues. Je demeurerai persuadé jusqu'à ma mort que toute cette situation fut montée en épingle et fortement exagérée et que les felquistes n'étaient que de simples «ti-gars» exaltés qui se retrouvaient au Chat Noir pour se noyer de bière et y refaire le monde; tout comme je demeure persuadé qu'ils furent sans doute les premiers à être dépassés par leurs propres actions.

Serge Denault, Chicoutimi