Le 23 février dernier, le gouvernement caquiste déposait le projet de loi 12 (PL12) encadrant la grossesse pour autrui (GPA), visant la protection des intérêts de l’enfant et des mères porteuses. Le ministre Simon Jolin-Barrette rappelle que « les enfants sont ce que nous avons de plus précieux » et que « c’est leur intérêt qui doit primer et guider toutes nos décisions ».

Ce projet de loi permet-il d’atteindre ces objectifs ? Est-il bâti sur une véritable acceptation sociale, une connaissance de cette pratique ou repose-t-il sur des mythes ? Examinons-en quelques-uns.

Mythe no 1 : La GPA est une entraide familiale ou amicale

La GPA est perçue comme un geste de solidarité d’une femme envers une sœur ou une amie infertile.

Bien que le ministre Jolin-Barrette utilise plusieurs exemples d’entraide familiale en commission parlementaire pour justifier des assouplissements de la loi, il n’en demeure pas moins que dans la majorité des cas (78 %, selon un échantillon ontarien), les parties font affaire avec des agences intermédiaires pour établir des contrats commerciaux qui seront exécutés par des cliniques de fertilité et des banques d’ovocytes. Les parties ont aussi parfois recours à des avocats, institutions prêteuses et compagnies d’assurance. Tous ces intervenants constituent une industrie dont l’objectif est de générer des profits qui atteindront mondialement 27 milliards de dollars en 2025⁠1. Les rouages de cette industrie sont basés sur l’altruisme des femmes.

Mythe no 2 : L’encadrement de la GPA est guidé par l’intérêt fondamental de l’enfant

Objectivement, toute séparation d’avec sa mère biologique crée un préjudice au nouveau-né. Cette séparation précoce est d’ailleurs interdite pour les animaux domestiques d’élevage⁠2. Comment pourrait-elle être dans l’intérêt fondamental d’un bébé humain ?

« L’accès à la connaissance de ses origines est un besoin fondamental et intrinsèque chez les enfants », dit le ministre Jolin-Barrette. La GPA est souvent privilégiée devant l’adoption afin d’établir un lien génétique entre l’adulte et l’enfant.

Si on reconnaît l’importance de ce lien pour l’adulte, comment justifie-t-on d’en priver l’enfant en omettant d’interdire le recours à des gamètes anonymes ?

Le ministre a fermé la porte, à juste titre, à la pluriparentalité en s’appuyant sur le fait qu’aucune étude ne démontre que cette configuration est favorable aux intérêts de l’enfant. Qu’en est-il du fait que le PL12 permette aux personnes célibataires de former une famille monoparentale par GPA dont la vulnérabilité est pourtant reconnue ?

Mythe no 3 : La GPA est une solution à l’infertilité

La fécondation in vitro (FIV), technique médicale comportant beaucoup plus de risques médicaux qu’une grossesse spontanée⁠3, vise à pallier l’infertilité. Les parents d’intention désirant sélectionner le bagage génétique de l’enfant sur catalogue⁠4 imposent souvent cette intervention à la mère porteuse, déjà fertile et qui n’en a pas besoin pour devenir enceinte.

Les demandes provenant d’hommes, souvent fertiles, qui sont seuls ou en couple avec un autre homme, constituent 40 % des GPA. « L’infertilité » est extrapolée à leur situation par l’introduction du néologisme « infertilité sociale ».

Pour pallier cette « infertilité sociale », la GPA par FIV fait prendre des risques inutiles pouvant engendrer une infertilité pour les mères porteuses alors que la diversité des modèles familiaux (coparentalité ou adoption) est pourtant déjà reconnue par le droit québécois.

Mythe no 4 : Au Canada, les mères porteuses ne sont pas payées

Les GPA ne sont pas toujours sans rémunération, contrairement aux dispositions de la loi canadienne⁠5. MKirouac, devant la Commission des institutions en décembre 2021, témoigne avoir constaté plusieurs paiements a posteriori de 35 000 $ pour une GPA et de 10 000 $ pour un ovocyte⁠6.

Les paiements incitent des candidates à devenir mères porteuses, en pénurie constante au Canada. Des mères porteuses québécoises ont mentionné des motivations économiques, dont le financement d’un retour aux études ou la perception des prestations du Régime québécois d’assurance parentale pour demeurer à la maison avec leurs enfants⁠7.

Malgré l’encadrement local, la loi du marché incitera des Québécois à solliciter des femmes de pays pauvres comme l’Ukraine ou le Mexique à devenir mères porteuses par précarité économique. L’offre locale demeurera soit insuffisante, soit trop coûteuse ou considérée comme occasionnant trop de délais.

Mythe no 5 : Ces changements ne concernent pas l’ensemble de la population

Le PL12 ouvre pour la société québécoise une nouvelle possibilité juridique permettant la disposition de certains enfants : ceux qui font l’objet d’un contrat avant leur conception. Or, cette conséquence collective est rarement abordée et touche l’ensemble de la population. Elle est présentée comme un don – prétendument plus éthique qu’une « vente ». « Toute tentative de faire don d’un être humain particulier, en l’occurrence un enfant, suppose que l’on puisse disposer de n’importe quel être humain, puisque le principe d’égalité s’applique à tous8 ».

Le PL12 est une rupture qui remet fondamentalement en cause le statut légal, anthropologique et social de la maternité soulevant de sérieuses préoccupations éthiques.

Il serait encore temps pour le législateur d’entendre les groupes qui les expriment.

1. Lisez « Surrogacy Market revenue to cross $27,5 billion by 2025 » (en anglais)

2. Règlement sur la sécurité et le bien-être des chats et des chiens, Québec (c. P -42, r. 10,1) article 42. Un éleveur ne peut sevrer les chiots avant l’âge de 8 semaines.

3. « Perinatal outcomes after natural conception versus in vitro fertilization (IVF) in gestational surrogates : a model to evaluate IVF treatment versus maternal effects », Woo and Al, 2017

4. Ces catalogues permettent de choisir les pourvoyeurs de matériel génétique en fonction de caractéristiques comme l’appartenance ethnique, la couleur des yeux, la taille, etc. De plus on s’assure ainsi que la mère porteuse n’est pas liée génétiquement à l’enfant qu’elle porte.

5. Consultez la Loi sur la procréation assistée 6. Regardez l’audition du projet de loi no 2 (min. 44)

7. « Médiation procréative et maternités assistées. Vers une approche relationnelle et pragmatique de la gestation pour autrui et du don d’ovules au Canada », K. Lavoie, février 2019, Université de Montréal, p. 157-158

8. « Ventres à louer. Une critique féministe de la GPA », p. 14, Stoicea-Deram et Devillers, 2022, L’échappée

* Cosignataires : Ghislaine Gendron, co-coordonnatrice pour le Québec de la WDI (Women’s Declaration International – La déclaration internationale des droits des femmes) et coautrice du livre Ventres à louer, une critique féministe de la GPA (éditions L’échappée, 2022) ; Lise Boivin, féministe

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