On y vit des manifestations et des affrontements quotidiens. On y déplore des dizaines de victimes - 36 morts, pour être précis, depuis le 12 février. On y assiste à une violente répression et à une dégradation générale des conditions de vie. S'agit-il d'un «printemps» au sens arabe du terme? Pas vraiment. La «rue» vénézuélienne n'a pas de structures, pas d'appuis le moindrement puissants. Et l'armée demeure solidement dans le camp du pouvoir.

Fragilisé par le chavisme depuis 15 ans, le Venezuela semble tout simplement se diriger vers un effondrement de ses institutions. Le journaliste et auteur vénézuélien Rafael Osío Cabrices va plus loin lorsqu'il dit que son pays «ne vit pas une révolution, il devient fou» (dans le New York Times).

Avant-hier s'est ouvert un nouveau système de change qui illustre le désarroi de la nation. Sous le couvert d'une lutte au marché noir, ce système bricolé par le gouvernement Maduro rend légalement disponibles, en petite quantité, des dollars US. Or, au premier jour, ils ont été cotés... à peu près au taux du marché noir, soit huit ou neuf fois le taux de change officiel (6,3 bolivars)!

Il s'agit en fait d'une lourde dévaluation du bolivar. Un «lundi noir», estime Henrique Capriles, deux fois candidat à la présidence, figure la plus célèbre de l'opposition au régime, qui faisait ainsi référence au krach boursier historique de 1929.

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L'économie déficiente joue un grand rôle dans le soulèvement populaire.

Le taux d'inflation est officiellement de 57% par année, probablement plus dans les faits, et il y a pénurie chronique des biens de première nécessité. L'État, lui, est lourdement endetté et les exportations de pétrole dont il dépend ont diminué considérablement. L'ère des «cadeaux» qu'offrait Hugo Chavez à sa population et aux nations amies, dont Cuba, arrive à sa fin.

Mais il n'y a pas que l'économie.

Ce sont les étudiants qui, en février, ont amorcé la ronde de protestations. Pourquoi? Pour réclamer une sécurité accrue après une tentative de viol sur un campus universitaire - la classe moyenne s'est jointe à eux par la suite.

L'espace public vénézuélien est en effet devenu un coupe-gorge: le pays affiche le cinquième plus haut taux d'homicide au monde, les armes sont omniprésentes, la police n'est pas toujours fiable. Cela explique d'ailleurs en partie la violence des manifestations et de la répression: l'ambiance est celle-là. Des milices plus ou moins criminalisées agissent du côté du pouvoir; des éléments violents parmi les contestataires leur répondent.

Un dernier point.

Jadis, le magnétisme et les envolées oratoires du défunt Hugo Chavez parvenaient à faire oublier les problèmes. Élu il y a un an, Nicolas Maduro n'a visiblement pas ce talent, même s'il utilise la même rhétorique inspirée du vieux folklore latino-américain.

De sorte qu'aujourd'hui, le principe de réalité revient en force.