À chacun sa guerre de religion. Nul besoin de rappeler les endroits où elle est extrême, permanente, meurtrière. Or, notre guerre de religion à nous est... tranquille, exactement comme notre révolution l'a été jadis. Beaucoup d'emportements, quelques paroles excessives, deux ou trois grossièretés, mais ni coups ni blessures.

C'est une image que le Québec peut offrir au monde avec fierté: un conflit impliquant les dieux et malgré cela exempt de violence, une situation dont on ne se rend pas compte à quel point elle est exceptionnelle. Et elle l'est d'autant plus que la pression religieuse s'accroît partout dans le monde en même temps que se produit un mouvement inverse, en particulier chez les plus jeunes. Il s'agit de la montée de l'athéisme et de ses versions «légères», agnosticisme et décrochage religieux.

La foi et son contraire sont-ils destinés à entrer en collision? Des heurts se produisent. Et pas nécessairement à Kandahar.

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Aux États-Unis, un phénomène nouveau touche les jeunes athées ou non religieux, de plus en plus nombreux: 30% des 24-32 ans et 34% des 18-24 ans (Pew Research Center, 2012). Ils sont souvent victimes d'intimidation allant jusqu'à la menace physique. «Des jeunes athées se font dire qu'il n'y a pas de place pour eux en Amérique», dit (à The Atlantic) un porte-parole de la Secular Student Alliance. Celle-ci a dû lancer un programme de «zones sûres» dans les maisons d'enseignement, où l'absence de foi peut s'exprimer en toute sécurité.

Quel rapport cela a-t-il avec notre saga des valeurs?

Celui-ci: quel que soit le niveau de tolérance dont on veuille faire preuve, il faut cesser de faire l'autruche. Cesser de nier les réalités désagréables amenées par le fait religieux.

D'abord, celui-ci se présente toujours (c'est sa définition!) comme étant en prise directe avec l'absolu, le révélé, l'incontestable. Cela peut justifier n'importe quoi, y compris l'intimidation d'un individu ou de toute une société.

Ensuite, les versions les plus strictes des rituels et apparats religieux, soutenues par les plus stricts des croyants, ont tendance à monopoliser toute l'attention et toute l'énergie collective disponibles. C'est exactement ce qui se produit actuellement. Au Québec, les 40% d'athées, agnostiques et décrochés de la foi (CROP-La Presse, février 2013), muets comme à l'habitude, peuvent fort bien s'en sentir offensés.

Enfin, le droit au plein exercice de sa religion, y compris justement dans ses versions les plus strictes, demeure considéré comme supérieur aux autres droits, ce que nous avons souvent constaté avec stupéfaction dans cette colonne. Le bouquet? Celui offert par la Cour suprême du Canada lorsqu'elle a autorisé le témoignage à charge de femmes masquées, aux dépens du droit fondamental de l'accusé à une défense pleine et entière. Difficile d'imaginer plus totale capitulation devant le surnaturel.

Un jour, peut-être, le débat actuel sera apaisé, ce qui dépendra surtout de l'habileté avec laquelle le gouvernement Marois refera ses devoirs. Mais l'accalmie ne répondra pas à la question fondamentale: quelle est la place à accorder aux divers dieux dans une société du XXIe siècle?