Les représentations de la trilogie de Sophocle telle qu'assemblée par Wajdi Mouawad sous le titre Des femmes débutent, ce soir, au Théâtre du Nouveau Monde.

Bertrand Cantat ne sera pas sur scène, comme l'avait d'abord souhaité le metteur en scène. Cela avait fait l'objet d'une polémique, il y a un an, au point où le gouvernement conservateur avait promis de bloquer, le cas échéant, l'entrée au Canada de l'ex-chanteur de Noir Désir.

Réglons ce dernier point. Même en toute légalité, Ottawa aurait été fort mal venu d'agir ainsi. Personne ne croit que Bertrand Cantat est un homme dangereux. Et la loi n'a pas à contrer un choix artistique qui ne l'enfreint pas directement.

L'affaire en est une de décence, uniquement.

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En 2003, Cantat a tué sa compagne, Marie Trintignant, lors d'une dispute d'une grande brutalité. C'était un cas-type de violence conjugale extrême, insupportable, que toute la société s'emploie à éradiquer. Condamné à la prison, libéré en 2007, il a recommencé à pratiquer son art dans la discrétion. Jusqu'à ce que Mouawad l'invite à participer à la livraison d'une oeuvre axée sur des personnages féminins évoluant dans des contextes de domination masculine et de violence.

Trois personnes étaient en mesure de discerner ce qu'il y avait là d'indécent et de tirer la plogue, comme le veut l'expression populaire.

Bertrand Cantat lui-même. Mais il a décidé de plonger dans l'aventure et, sauf erreur, ne s'en est jamais expliqué. Lorraine Pintal, directrice du TNM. Elle a bloqué le projet, mais uniquement après que l'affaire eut déclenché un boucan de tous les diables. Wajdi Mouawad, enfin. Il n'a jamais cessé de défendre son idée.

Un argument plaidé en sa faveur a été celui du droit à la réhabilitation d'un homme qui avait «payé sa dette à la société». Cet argument est légitime, mais il a ses limites.

Certes, toute comparaison est boiteuse. Malgré cela, évoquons Louis-Ferdinand Céline, l'écrivain de génie qui, protégé par Vichy, signa des écrits marqués par un antisémitisme d'une violence inouïe. Il fut puni par l'exil et la prison, puis fut discrètement réadmis dans la république des Lettres. Ce qui est sage. Mais l'aurait-on invité à (et lui-même aurait-il accepté de) participer à une cérémonie de commémoration de l'Holocauste?

Contrairement à une idée largement répandue dans les palais culturels et leurs dépendances, l'artiste ne peut se soustraire aux contraintes qu'imposent au simple manant les impératifs de dignité, de retenue, de respect.

Dernier point.

On peut maintenant croire que ceux qui se rendront au TNM, ce soir et les soirs qui suivront, le feront par amour du théâtre. Par intérêt pour les textes classiques. Par admiration pour l'oeuvre de Mouawad. Ils n'y seront pas pour éprouver ce petit frisson canaille qui vient en se frottant, fut-ce de façon virtuelle, au crime de sang et au scandale à rabais.