Aujourd'hui, la meilleure façon d'évaluer l'importance d'un événement quelconque est de compter les différentes théories du complot auxquelles il donne lieu! Plus il y en a, plus l'événement est marquant...

Aujourd'hui, la meilleure façon d'évaluer l'importance d'un événement quelconque est de compter les différentes théories du complot auxquelles il donne lieu! Plus il y en a, plus l'événement est marquant...

Il s'agit d'un véritable tournant de civilisation. Depuis que l'internet est devenu le principal manufacturier de l'opinion publique, la réalité n'est plus du tout perçue de la même façon qu'avant. Les faits, même avérés, ne sont plus incontestables. La vérité est devenue insaisissable - un concept périmé, en somme.

«Le conspirationnisme n'est pas en lui-même une maladie psychologique, mais plutôt le symptôme d'un esprit qui a décollé de la réalité», écrit le journaliste torontois Jonathan Kay, du National Post, dans un essai colossal, Among The Truthers (non traduit en français).

Or, cet esprit planant, c'est celui de toute une civilisation dorénavant dépendante d'événements en forme de cubes de Rubik. C'est-à-dire: susceptibles d'être tournés dans tous les sens afin qu'il s'en dégage, indépendamment des faits, le plus grand nombre de «vérités» possibles!

En se référant à cette grille, on peut donc affirmer que l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn est une affaire de première grandeur, quelle que soit l'issue qu'elle connaîtra à New York et à Paris.

En quelques semaines, on a en effet gratifié l'affaire d'une bonne demi-douzaine de théories du complot, sans parler de la consécration ultime: une thèse, la plus audacieuse, échafaudée par Thierry Meyssan lui-même. Meyssan, le pape du conspirationisme moderne; l'inspiration de milliers de truthers du 11 septembre qui, après lui, ont essaimé sur le web.

Meyssan, donc, estime que l'affaire DSK relève d'un complot du... vous ne devinez pas?... du «complexe militaro-industriel israélo-états-unien», bien entendu! Le patron du Fonds monétaire international a ainsi été mis hors circuit parce que, pour simplifier à l'extrême, il allait enclencher le processus de remplacement du dollar en tant que monnaie de réserve, une opération adossée au... dinar libyen - celle-là, on ne l'a pas vue venir.

C'est évidemment facile de se moquer. Mais la thèse Meyssan est probablement la moins corrosive parce que, justement, elle est la plus excentrique. Les autres théories échafaudées autour de l'affaire DSK, parfois presque plausibles, risquent de faire plus de mal.

Liens entre l'Élysée (lire: Nicolas Sarkozy) et l'hôtel Sofitel permettant d'éliminer l'adversaire socialiste probable? Complot ourdi au sein du PS lui-même? Punition imposée à un libertin par la puissante droite morale américaine? Saccage du FMI par directeur interposé? Conspiration strictement criminelle? Toutes ces «vérités» sont là pour rester...

Bien malgré lui, DSK est ainsi passé instantanément d'une luxueuse chambre d'hôtel de Manhattan à l'inconfort d'une dimension irréelle - celle qui s'ébaudit sur le web - où il n'existera plus jamais de vérité définitive à son sujet.

En soi, c'est déjà une lourde sentence.