C'est forcément dans l'extrême violence qu'a (probablement) été décapité et démembré le mouvement de libération nationale le plus violent, le mieux organisé et le plus étrange que l'époque ait connu. Selon le gouvernement sri-lankais, les Tigres tamouls n'existent plus, en effet. Et leur chef iconique, Velupillai Prabhakaran, a été tué dans des circonstances peu claires - peut-être en fuyant le dernier bastion de résistance, grand comme un pâté de maisons, à bord d'une ambulance.

Prabhakaran était un personnage considérable, sorte de micro-Pol Pot ayant créé une microsociété totalitaire. Et il arrive que de tels personnages connaissent une fin assez peu glorieuse...

 

Hier, le président du Sri Lanka, Mahinda Rajapakse, a déclaré son pays «libéré» du terrorisme tamoul.

Mais cela survient après une campagne d'annihilation, littéralement, qui aurait tué 7000 civils et en aurait déplacé 250 000. Ceux-ci sont réduits à l'extrême précarité, parqués dans des camps se situant à mi-chemin entre l'humanitaire et le concentrationnaire... Des 25 000 soldats partis se battre dans le nord de l'île, on ne sait pas combien ne reviendront pas: l'État ne le dit pas. Les rebelles ne le font pas non plus, de sorte qu'on sait seulement que, sous Prabhakaran, la deuxième ligne de commandement a elle aussi été éliminée; sans doute, la piétaille de la révolution a-t-elle été décimée.

Parlant en langue tamoule, le président Rajapaksa a en outre déclaré que «nous devons tous désormais vivre ensemble dans l'égalité dans ce pays libre». Or, comment recommencer à vivre après cela? Personne ne le sait. Cependant, il se peut qu'une bonne partie de la population tamoule elle-même ressente un certain soulagement, elle qui était à la fois la protégée et l'otage des Tigres.

On ne refera pas l'histoire des Tigres de libération de l'Eelam tamoul. Ni de l'emprise qu'ils ont à certains moments exercée sur le Sri Lanka. Entrés en mode guerrier il y a un quart de siècle, ils ont contrôlé jusqu'à 25% du territoire avec une organisation comptant sur une petite flotte aérienne et une marine (ils auraient eu en leur possession un sous-marin!), ce qui est inédit.

Qu'il suffise de rappeler qu'ils sont réputés avoir «inventé» l'attentat suicide, promis à beaucoup de succès; qu'ils faisaient grand usage d'enfants-soldats; qu'ils se finançaient largement par la diaspora (dont la canadienne: près de 300 000 âmes, dont 10 000 à Montréal), convaincue parfois assez peu subtilement de collaborer...

Maintenant.

Le Sri Lanka, protégé par la Chine, ne pourra probablement pas être contraint de livrer des informations sur ce qui s'est réellement passé sur le champ de bataille depuis quatre mois. Par exemple: laquelle des deux parties s'est le plus scandaleusement servie des civils comme boucliers? La question demeurera ouverte.

Mais la communauté internationale doit certainement persuader Colombo de s'ouvrir à l'aide humanitaire. Et voir à ce que, par la suite, une terreur ne succède pas à une autre.

mroy@lapresse.ca