L'actuelle crise économique compte parmi les échecs du capitalisme. Elle est unanimement vue comme telle, bien que les opinions divergent quant à la façon de corriger et d'empêcher à l'avenir de semblables dérives.

Unanimement? Pas tout à fait. La critique radicale du capitalisme, exprimée notamment la semaine dernière dans un manifeste politique de Québec solidaire, voit les choses autrement. Ce document n'est pas unique dans sa teneur. Il possède une parenté évidente avec, par exemple, les écrits du journaliste et essayiste français Hervé Kempf. Nous le mentionnons ici parce que ses deux récents ouvrages sont devenus des best-sellers, mais on pourrait tout aussi bien évoquer plusieurs auteurs ou scribes dont les démonstrations sont comparables.

 

Ainsi, il faut «dépasser le capitalisme», estime le collectif de Françoise David et Amir Khadir; ou bien «sortir du capitalisme», conseille Hervé Kempf.

Dépasser ou sortir? L'idée est la même. Tant d'un point de vue socioéconomique (Québec solidaire) qu'écologique (Kempf), la crise actuelle n'est au fond qu'un soubresaut assez banal d'un système dont la nature profonde a toujours été viciée et le sera toujours. Ce qui le rend irréformable.

«Ceux qui veulent refonder le capitalisme passent à côté des vraies questions», dit Québec solidaire. Même «la croissance verte est une illusion», ajoute Kempf, discréditant à l'avance ce que plusieurs, dont le président américain Barack Obama, voient comme le prochain champ d'exercice de la stupéfiante capacité d'innover du capitalisme.

La virulence de la critique radicale du capitalisme n'est pas proportionnelle à l'ampleur des échecs de celui-ci. En période de croissance et de prospérité, ce système est vu comme tout aussi vicié et irréformable: en France et au Québec, la vulgate anticapitaliste moderne a été boulonnée pendant les Trente glorieuses et la Révolution tranquille, périodes fastes s'il en fut.

Or, aujourd'hui comme hier, échafauder des scénarios dont la prémisse est la disparition, ou le dépassement, ou la sortie, du capitalisme est un investissement dans l'équivalent idéologique des fameux... papiers commerciaux! Le capitalisme ne disparaîtra pas parce qu'il n'existe rien dans le monde réel à mettre à la place. De sorte que tout changement (même lourd, et il en faudra) s'inscrira forcément à l'intérieur de son cadre général.

On peut plaider que nourrir l'utopie est une activité saine et bienfaisante. Mais, dans les faits, cela concourt à la disneylandisation du débat politique. C'est-à-dire à l'insertion de celui-ci dans un monde merveilleux, fantasmagorique, où s'estompe la frontière entre la réalité et la fiction; où tout paraît concevable; où se liquéfie la nature même de la politique, qui est précisément l'art du possible.

À y réfléchir, il est douteux que ce soit sain et bienfaisant.

Pour sortir de la crise: dépasser le capitalisme?, Québec solidaire, www.quebecsolidaire.net/accueil Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Hervé Kempf, Le Seuil.