Par l'équipe éditoriale (Pascale Breton, Paul Journet, Ariane Krol, André Pratte)

Des milliers de Québécois manifesteront aujourd'hui à Montréal et à Québec pour exprimer leur opposition à l'«austérité» imposée par le gouvernement Couillard. Organisées par les centrales syndicales, ces manifestations se dérouleront sans doute dans l'ordre. Néanmoins, on sent qu'une tension sociale s'installe, que les camps affutent leurs armes à mesure que les libéraux multiplient les compressions et les chambardements.

Il n'est pas impossible que cette tension dégénère. Or, qui veut revivre des divisions ressemblant même de loin à celles du printemps 2012? Pour éviter tout dérapage, nos leaders politiques, syndicaux et économiques doivent, dès aujourd'hui, mettre de côté leurs intérêts étroits et agir en fonction de l'intérêt supérieur du Québec.

La majorité des Québécois appuie la remise en ordre des finances publiques. Ce ménage est essentiel si l'on veut que l'État puisse continuer à jouer son rôle. Sur cette question, au-delà des chicanes partisanes, les trois principales formations politiques de la province sont d'accord. Il y a là un terrain de discussions et de compromis que ces partis doivent explorer.

La trêve conclue cette semaine entre le gouvernement et l'opposition officielle sur les régimes de retraite municipaux montre que de tels accords sont possibles. Surtout, ils renforcent considérablement la légitimité des mesures adoptées.

Le financement des services de garde pourrait également faire l'objet d'un accord entre libéraux et péquistes. Les deux partis sont convaincus qu'une hausse du tarif est nécessaire. Il est certainement possible de trouver un compromis entre la formule annoncée par le gouvernement et celle privilégiée par le Parti québécois.

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Peu de temps après son arrivée au pouvoir, le premier ministre, Philippe Couillard, a promis que les changements «difficiles» envisagés par son gouvernement feraient l'objet d'un «dialogue social». Malheureusement, ce dialogue n'a pas eu lieu. Au contraire, depuis le début de l'automne, des ministres ont foncé tête baissée dans des bouleversements dont le bien-fondé est très loin d'avoir été démontré.

S'il y a une leçon à retenir de la crise de 2012, c'est que les Québécois, même ceux qui appuient le gouvernement sur le fond, souhaitent que celui-ci reste à l'écoute. Ils veulent qu'il soit constamment à la recherche des compromis qui préserveront la paix sociale.

Comme le premier ministre l'a lui-même souligné, «les Québécois n'aiment pas la chicane». Il ne s'agit pas là d'un caprice. Les Québécois sont relativement peu nombreux et notre nation est tissée serrée. Les déchirures y sont donc particulièrement douloureuses. C'est pourquoi, de tout temps, ils se sont attendus à ce que leur premier ministre agisse en «bon père de famille» (comme le disait autrefois le Code civil). Aujourd'hui, cette responsabilité de calmer le jeu repose sur les épaules de Philippe Couillard.

En premier lieu, il faut un changement de ton. Bien sûr, l'état des finances publiques commande de la détermination. Mais les libéraux ne doivent pas répéter l'erreur de 2012, alors qu'ils ont confondu fermeté et fermeture.

Le changement de ton doit s'accompagner d'un recentrage de l'action gouvernementale. La priorité du gouvernement doit être d'ajuster le niveau des dépenses à celui des revenus, de le faire de façon intelligente et comprise par la population. Les changements plus profonds devraient se faire à un rythme plus respectueux des institutions et des personnes concernées.

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Les syndicats disent «refuser l'austérité», comme l'indique le thème de leur manifestation. Mais cela ne règlera pas le problème budgétaire actuel, qui demeure réel et sérieux. Néanmoins, Québec doit convier les leaders syndicaux au dialogue: qu'ils proposent leurs idées permettant de rétablir à court terme l'équilibre budgétaire. S'ils ne répondent pas à l'appel, ou si leurs propositions sont impraticables, la population fera son choix.

Le premier ministre a souvent dit s'inspirer de l'«idée libérale» telle qu'exprimée en paroles et en actes par les grands leaders libéraux québécois, de Louis-Hippolyte La Fontaine à Robert Bourassa, en passant par Wilfrid Laurier et Adélard Godbout. Or, la plupart des chefs libéraux, s'ils étaient fermes sur les principes, étaient aussi des hommes de compromis. À leurs yeux, la paix sociale était plus importante pour l'avenir de la nation que la réalisation rapide et complète de leur programme législatif.

Conscients de la lourdeur de la tâche du premier ministre, nous partageons son objectif d'assainir les finances publiques. C'est pourquoi nous pressons M. Couillard d'agir de façon à rallier le plus grand nombre possible de Québécois à ce projet exigeant, mais essentiel pour l'avenir de la nation.